Antonio Machado (Mairena) - Une certaine poésie se nourrit de superlatifs

jeudi 17 novembre 2022.
Une certaine poésie se nourrit de superlatifs. Le poète prétend élever son cœur jusqu’à le mettre hors du temps, dans le topos uranios [« Le lieu céleste »] des idées. Cette poésie, accompagnée parfois de l’émotion particulière produite par les superlatifs, peut être réellement poétique, tant que le poète n’atteint pas son but. Ce qui veut dire que le but, pour le moins, est antipoétique. En lisant Kant - lire Kant use moins de phosphore que déchiffrer de subtiles âneries et démêler des concepts niais -, vous rencontreriez la célèbre parabole de la colombe qui, en sentant contre ses ailes la résistance du vent, s’imaginerait pouvoir mieux voler dans le vide. Avec cette image, Kant oppose un argument des plus décisifs à la métaphysique dogmatique, qui prétend s’élever à l’absolu, la raison discursive croyant pouvoir planer au-dessus d’un vide d’intuitions. Les images des grands philosophes, quoiqu’elles exercent une fonction didactique, ont une indéniable valeur poétique, et on s’en occupera un de ces jours. Il est en tout cas avéré qu’il existe - il me semble - une colombe lyrique, qui a pour habitude d’éliminer le temps pour mieux s’élever à l’éternel, et qui, comme la colombe kantienne, ignore la loi de son propre envol. [Tr. Victor Martinez]
Voir en ligne: Juan de Mairena por Antonio Machado.


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