Dictionnaire de la Littérature Chrétienne

FAUST

Légende de Faust par Widmann
mercredi 10 octobre 2007.
 
Comme inventeur de l’imprimerie et comme ayant publié et répandu en Europe les premières éditions de la Bible, Jean Faust mérite d’être mentionné dans le Dictionnaire de littérature religieuse. Son nom appartient d’ailleurs à la poésie des légendaires, et a été popularisé parle drame allégorique de Goethe.

FAUST (JEAN).-Comme inventeur de l’imprimerie et comme ayant publié et répandu en Europe les premières éditions de la Bible, Jean Faust mérite d’être mentionné dans le Dictionnaire de littérature religieuse. Son nom appartient d’ailleurs à la poésie des légendaires, et a été popularisé parle drame allégorique de Goethe.

A l’époque où nous vivons, il est permis encore de douter si l’invention de l’imprimerie fut pour l’humanité un bienfait ou un fléau : toujours est-il que par le moyen de cet art, l’arbre de la science du bien et du mal secoua ses feuilles sur le monde, et a déjà fait goûter aux nations ses fruits les plus amers. C’est donc avec une grande raison que la tradition populaire des légendes, toujours si vraie dans ses symboles et si poétique dans ses allégories, a supposé qu’en la personne de Faust l’orgueil humain avait fait alliance avec l’esprit superbe qui nie Dieu.

Dans la légende de Faust écrite par Widmann, que nous donnerons à la suite de cet article, il n’est pas parlé de l’imprimerie, mais on en décrit les effets dans les conditions du pacte que fait Faust avec Méphistophélès : ainsi le démon s’engage à prendre toutes les formes et à obéir au docteur, même les formes du génie, même celles de la beauté ; il s’engage à venir quand on l’appellera, à aller ou on l’enverra ; or n’est-ce pas tout ce que peut faire l’esprit du mal au moyen de l’imprimerie ? Au moyen de cette alliance, l’esprit de l’homme peut évoquer les morts de leur tombe, et vivre dans la société des anciens, comme nous voyons dans la légende que Faust évoqua le fantôme de la belle Hélène et vécut avec elle dans les liens d’un fantastique et criminel amour. Cette explication jette une lumière nouvelle sur la légende de Faust, qu’on ne relira pas ici sans intérêt, et qu’on peut regarder comme une des plus belles fictions du génie, populaire qui préside aux allégories merveilleuses et aux fantastiques légendes.

Légende de Faust par Widmann, traduite en français, au XVI siècle, par Palma Cayet.

L’origine de Faust et ses études.

Le docteur Faust fut fils d’un paysan natif de Veinmar sur lu Rhod, qui a eu une grande parenté à Wittenberg, comme il y a eu de ses ancêtres gens de bien et bons chrétiens ; même son oncle qui demeura à Wittenberg et en fut bourgeois fort puissant en biens, qui éleva le docteur Faust, et le tint comme son fils ; car, parce qu’il était sans héritiers, il prit ce Faust pour son fils et héritier, et le lit aller à l’école pour étudier en la théologie. Mais il fut débauché d’avec les gens de bien, et abusa de la parole de Dieu. Pourtant, nous avons vu telle parenté et alliance de fort gens de bien et opulents comme tels avoir été du tout estimés et qualifiés prud’hommes, s’être laissés sans mémoire et ne s’être fait mêler parmi les histoires, comme n’ayant vu ni vécu en leurs races de tels enfants impies d’abomination. Toutefois, il est certain que les parents du docteur Faust (comme il a été su d’un chacun à Wittenberg) se réjouirent de tout leur cœur de ce que leur oncle l’avait pris comme son fils, et comme de là en avant ils ressentirent en lui son esprit excellent et sa mémoire, il s’ensuivit sans doute que ses parents eurent un grand soin de lui, comme Job, au chap. I, avait soin de ses enfants, à ce qu’ils ne fissent point d’offense contre Dieu. Il advient aussi souvent que parents qui sont impies ont des enfants perdus et mal conseillés, comme il s’est vu de Cham, Gen. IV ; de Rub, Gen. XLIX ; d’Absalon, II Reg. XV, 18. Ce que je récite ici, d’autant que cela est notoire, quand les parents abandonnent leur devoir et sollicitude, par le moyen de quoi ils seraient excusables. Tels ne sont que dos masques, tout ainsi que des flétrissures à leurs enfants ; singulièrement comme il est advenu au docteur Faust d’avoir été mené par ses parents. Pour mettre ici chaque article, il est à savoir qu’ils l’ont laissé faire en sa jeunesse à sa fantaisie, et ne l’ont point tenu assidu à étudier, qui a été envers lui par ses dits parents encore plus petitement. Item, quand ses parents eurent vu sa maligne tête et inclination, et qu’il ne prenait pas plaisir à la théologie, et que de là il fut encore approuvé manifestement, même il y eut clameur et propos commun, qu’il allait après les enchantements, ils le devaient admonester à temps, et le tirer de là, comme ce n’était que songe et folies, et ne devaient pas amoindrir ces fautes-là, afin qu’il n’en demeurât coupable.

Mais venons au propos. Comme donc le docteur Faust eut parachevé tout le cours de ses études, en tous les chefs plus subtils de sciences, pour être qualifié et approuvé il passa outre do là en avant, pour être examiné par les recteurs, afin qu il fut examiné pour être maître, et autour de lui il y eut seize maîtres, par qui il fut ouï et ennuis, et avec dextérité il emporta le prix de la dispute.

Et ainsi, pour ce qu’il fut trouvé avoir suffisamment, étudié sa partie, il fut fait docteur en théologie. Puis après, il eut encore en lui sa tête folle et orgueilleuse, comme on appelle des curieux spéculateurs, et s’abandonna aux mauvaises compagnies, mettant la Sainte-Ecriture sous le banc, et mena une vie d’homme débauché et impie, comme cette histoire donne suffisamment à entendre ci-après.

Or, c’est au dire commun et très véritable : Qui est au plaisir du diable, il ne le laisse reposer ni se défendre. Il entendit que dans Cracovie, au royaume de Pologne, il y avait eu ci-devant une grande école de magie, fort renommée, où se trouvaient telles gens qui s’amusaient aux paroles chaldéennes, persanes, arabiques et grecques, aux figures, caractères, conjurations et enchantements, et semblables termes, que l’on peut nommer d’exorcismes et sorcelleries, et les autres pièces ainsi dénommées par exprès les arts dardaniens, les nigromances, les charmes, les sorcelleries, la divination, l’incantation, et tels livres, paroles et termes que l’on pourrait dire. Gela fut très agréable à Faust, et y spécula et étudia jour et nuit ; en sorte qu’il ne voulut plus être appelé théologien. Ainsi fut homme mondain, et s’appela docteur do médecine, fut astrologue et mathématicien. Et en un instant il devint droguiste ; il guérit premièrement plusieurs peuples avec des drogues, avec des herbes, des racines, des eaux, des potions, des recettes et des clystères. Et puis après, sans raison, il se mit à être beau diseur, comme étant bien versé dans l’Ecriture divine. Mais, comme dit bien la règle de notre Seigneur Jésus-Christ : Celui qui sait la volonté de son maître, et ne la fait pas ; celui-là sera battu au double. Item. « Nul ne peut servir deux malices. »

Item. « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » Faust s’attira tous ces châtiments sur soi, et mit sou Ame à son plaisir pardessus la barrière ; tellement qu’il se persuada n’être point coupable.

Le serviteur de Faust.

Le docteur Faust avait un jeune serviteur qu’il avait élevé quand il étudiait à Wittenberg, qui vit toutes les illusions de son maître Faust, toutes ses magies et son art diabolique. 11 était un mauvais garçon, coureur et débauché, du commencement qu’il vint demeurer à Wittenberg : il mendiait, et personne ne voulait le prendre à cause de sa mauvaise nature. Ce garçon se nommait Christofle Wagner, et fut dès lors serviteur du docteur Faust : il se tint très bien avec lui, en sorte que le docteur Faust l’appelait son fils. Il allait où il voulait, quoiqu’il allât boitant et de travers.

Le docteur Faust conjure le diable pour la première fois.

Fauste vint en une forêt épaisse et obscure, comme on se peut figurer, qui est située près de Wittenberg, et s’appelle la forêt de Mangealle, qui était autrefois très bien connue de lui-même. En cette forêt, vers le soir, en une croisée de quatre chemins, il tit avec un bâton un cercle rond, et deux autres qui entraient dedans le grand cercle. Il conjura ainsi le diable en la nuit, entre neuf et dix heures ; et lors manifestement le diable se relâcha sur le point, et se fit voir au docteur Faust en arrière, et lui proposa : Or sus, je veux sonder ton cœur et ta pensée, que tu me l’exposes comme un singe attaché à son billot, et que non seulement ton corps soit à moi, mais aussi ton Ame, et tu me seras obéissant, et je t’envoierai où je vouerai pour faire mon message ; et ainsi le diable amiella étrangement Faust, et l’attira à son abusion.

Lors le docteur Faust conjura le diable, à quoi il s’efforça tellement, qu’il fit un tumulte qui était comme s’il eut voulu renverser tout de fond en comble ; car il faisait plier les arbres jusques en terre ; et puis le diable faisait comme si toute la forêt entêté remplie de diables, qui apparaissaient au milieu et autour du cercle à l’environ comme un grand charriage menant bruit, qui allaient et venaient çà et là, tout au travers par les quatre coins, redonnant dans le cercle comme des élans et foudres, comme des coups de gros canon, dont il semblait que l’enfer fût entr’ouvert, et encore y avait-il toutes sortes d’instruments do musique amiables, qui s’entendaient chanter fort doucement, et encore quelques danses ; et y parurent aussi des tournois avec lances et épées, tellement que le temps durait fort long à Faust, et il pensa de s’enfuir hors du cercle. Il prit enfin une résolution unique et abandonnée, et y demeura, et se tint ferme à sa première condition (Dieu permettant ainsi, à ce qu’il pût poursuivre), et se mit comme auparavant à conjurer le diable de nouveau, afin qu’il se fit voir à lui devant ses jeux, de la façon qui s’ensuit. Il s’apparut à lui, à l’entour du cercle, un griffon, et puis un dragon puant le soufre et souillant, en sorte que, quand Faust faisait les incantations, cette bête grinçait étrangement les dents, et tomba soudain de la longueur de trois ou quatre aunes, qui se mit connue un peloton de feu, tellement que le docteur Faust eut une horrible frayeur. Nonobstant il embrassa sa résolution, et pensa encore plus hautement de faire que le diable lui fût assujéti. Comme quand Faust se vantait, en compagnie un jour, que la plus haute tête qui fût sur la terre lui serait assujétie et obéissante, et ses compagnons étudiants lui répondaient qu’ils ne savaient point de plus haute tête que le pape, ou l’empereur, ou le roi. Lors répondait Faust : La tête qui m’est assujétie est encore plus haute, comme elle est écrite en l’Epître de saint Paul aux Ephésiens : « C’est le prince « de ce monde sur la terre et dessous le ciel. » Ainsi donc, il conjura cette étoile une fois, deux fois, trois fois, et lors devint une poutre de fou, un homme au-dessus qui se défit, puis après, ce furent six globes de feu comme des lumignons, et s’en éleva un au-dessus, et puis un autre par-dessous, et ainsi conséquemment, tant qu’il se changea du tout, et qu’il s’en forma une figure d’un homme tout en feu, qui allait et venait tout autour du cercle, par l’espace d’un quart d’heure. Soudain ce diable et esprit se changea sur-le-champ en la forme d’un moine gris, vint avec Faust en propos, et demanda ce qu’il voulait.

Le nom du diable qui visita Faust.

Le docteur Faust demanda au diable comme il s’appelait, quel était son nom. Le diable lui répondit qu’il s’appelait Méphistophélès. Les conditions du pacte, quelles elles sont.

Au soir, environ vêpres, entre trois et quatre heures, le diable volatique se montra au docteur Faust derechef, et le diable dit au docteur Faust : « J’ai fait ton commandement, et tu me dois commander. Partant, je suis venu pour t’obéir, quel que soit Ion désir, d’autant que tu m’as ainsi ordonné, que je me présentasse devant toi a cette heure ici. » Lors Faust lui fit réponse, ayant encore son âme misérable, toute perplexe, d’autant qu’il n’y avait plus moyen de différer l’heure donnée. Car un homme en étant venu jusque-là ne peut plus être à soi ; mais il est, quant à son corps, en la puissance du diable, et de là en avant la personne est en sa puissance. Lors Faust lui demanda les pactions qui s’ensuivent.

Premièrement, qu’il peut faire prendre une telle habitude, forme et représentation d’esprit, qu’en icelle il vînt et s’apparût à lui. Pour le second, que l’esprit fit tout ce qu’il lui commanderait, et lui apportât tout ce qu’il voudrait avoir de lui. Pour le troisième, qu’il lui fût diligent, sujet et obéissant, comme étant son valet. Pour le quatrième, qu’à toute heure qu’il l’appellerait et le demanderait il se trouvât au logis. Pour le cinquième, qu’il se gouvernât tellement par la maison, qu’il ne fût ni vu ni reconnu e personne que de lui seul, à qui il se montrerait, comme serait son plaisir et son commandement. Et finalement, que toutes fois et quantes qu’il l’appellerait, il eût à se montrer en la même figure comme il lui ferait commandement.

Sur ces six points, le diable répondit à Faust qu’en toutes ces choses, il lui voulait être volontaire et obéissant, et qu’il voulût aussi proposer d’autres articles par ordre, et lorsqu’il les accomplirait, qu’il n’aurait faute de rien.

Les articles que le diable lui proposa sont tels que ci-après : Premièrement, que Faust lui promit et jurât qu’il serait sien, c’est-à-dire en la possession et jouissance du diable. Pour le second, qu’afin de plus grande confirmation, il lui ratifiât par son propre sang, et que de son sang il lui en écrivit un tel transport et donation de sa personne. Pour le troisième, qu’il fût ennemi de tous les chrétiens. Pour le quatrième, qu’il ne se laissât attirer à ceux qui le voudraient convertir. Conséquemment, le diable voulut donner à Faust un certain nombre d’années qu’il aurait à vivre, dont il serait aussi tenu de lui, et qu’il lui tiendrait ces articles, et qu’il aurait de lui tout son plaisir et tout son désir. Et qu’il le pourrait en tout presser, que le diable eût à prendre une belle forme et telle qu’il lui plairait.

Ledit Faust fut tellement transporté de la folie et superbité d’esprit, qu’ayant péché une fois, il n’eut plus de souci de la béatitude de son âme ; mais il s’abandonna au diable, et lui promit d’entretenir les articles susdits. Il pensait que le diable ne serait pas si mauvais, comme il le faisait paraître, ni que l’enfer fût si impétueux, comme on en parle. Le docteur Faust s’oblige.

Après tout cela, le docteur Faust dressa par dessus cette grande oubliance et outrecuidance, un instrument au diable et une reconnaissance, une briève soumission et confession, qui est un acte horrible et abominable. Et cette obligation-là fut trouvée en sa maison après son misérable départ de ce monde.

C’est ce que je prétends montrer évidemment pour instruction et exemple des bons chrétiens, afin qu’ils n’aient que faire avec le diable, et qu ils puissent retirer d’entre ses pattes leurs corps et leurs âmes, comme Faust s’est outrageusement abandonné à son misérable valet et obéissant, qui se disait être par le moyen de telles œuvres diaboliques, qui est tout ainsi que les Parthes faisaient, s’obligeant les uns aux autres ; il prit un couteau pointu et se piqua une veine en la main gauche, et se dit un homme véritable. Il fut vu en sa main ainsi piquée un écrit comme d’un sang de mort, en ces mots latins : O homo, fuge ! qui est à dire : O homme, fuis-t’en de là, et fais le bien.

Puis le docteur Faust reçoit son sang sur une tuile et y met des charbons tout chauds, et écrit comme s’ensuit ci-après : « Jean Faust, docteur, reçois de ma propre main manifestement pour une chose ratifiée, et ce en vertu de cet écrit ; qu’après que je nie suis mis à spéculer les éléments, et après les dons qui m’ont été distribués et départis de là-haut, lesquels n’ont point trouvé d’habitude dans mon entendement ; et de ce que je n’ai peut-être enseigné autrement des hommes, lors je me suis présentement adonné à un esprit qui s’appelle Méphistophélès, qui est valet du prince infernal en Orient, par paction entre lui et moi, qu’il m’adresserait et m’apprendrait, comme il m’était prédestiné, qui aussi réciproquement m’a promis de m’être sujet à toutes choses, partant et à l’opposite, je lui ai promis et lui certifie que d’ici à vingt-quatre ans, de lu date de ces présentes, vivant jusque-là complètement, comme il m’enseignera en son art et science, et en ses inventions me maintiendra, gouvernera, conduira, et me fera tout bien, avec toutes les choses nécessaires à mon âme, à ma chair, a mon sang et à ma santé, que je suis et serai sien a jamais. Partant je renonce à tout ce qui est pour la vie du maître céleste et de tous les hommes, et que je sois en tout sien. Pour plus grande certitude et plus grande confirmation, j’ai écrit la présente promesse de ma propre main, et l’ai sous-écrit de mon propre sang, que je me suis tiré expressément pour ce faire, de mon sens et de mon jugement, de ma pensée et volonté, et l’ai arrêté, scellé et testifié, etc. »

Faust tira cette obligation à son diable, et lui dit : Toi, tiens le brevet. Méphistophélès prit le brevet et voulut encore de Faust avoir cela, qu’il lui en fit une copie, que le malheureux Faust dépêcha.

Les hôtes du docteur Faust se veulent couper le nez.

Le docteur Faust avait, en un certain lieu, invité des hommes principaux pour les traiter sans qu’il eût apprêté aucune chose. Quand donc ils furent venus, ils virent bien la table couverte, niais la cuisine était encore froide. Il se faisait aussi des noces, le même soir, d’un riche et honnête bourgeois, et avaient été tous les domestiques de la maison empêchés, pour bien et honorablement traiter les gens qui y avaient été invités ; ce que le docteur Faust ayant appris, commanda à son esprit que de ces noces il lui apportât un service de vivres tout apprêtés, soit poissons ou autres, et qu’incontinent il les enlevât de là pour traiter ses hôtes. Soudain il y eut en la maison ou l’on faisait les noces un grand vent par les cheminées, fenêtres et portes, qui éteignit toutes les chandelles. Après que le vont fut cessé et les chandelles derechef allumées, et qu’ils eurent vu d’où le tumulte avait été, ils trouvèrent qu’il manquait à un mets une pièce de rôti, à un autre une poule, à un autre une oie, et que dans la chaudière il manquait aussi de grands poissons. Lors furent Faust et ses invités pourvus de vivres ; mais le vin manquait, toutefois non pas longtemps, car Méphistophélès fut fort bien au voyage de Florence dans les caves de Fougres, dont il en emporta quantité. Mais après qu’ils eurent mangé, ils désiraient (qui est ce pour quoi ils étaient principalement venus) qu’il leur fit pour plaisir quelques tours d’enchantement. Lors il leur fit venir sur la table une vigne avec ses grappes de raisin dont un chacun en prit sa part. I1 commanda puis après de prendre un couteau et le mettre à la racine comme s’ils l’eussent voulu couper ; néanmoins ils n’en purent pas venir à but ; puis après il s’en alla hors des étuves, et ne tarda guère sans revenir. Lors ils s’arrêtèrent tous et se tinrent l’un l’autre par lu nez et un couteau dessus. Quand donc puis après ils voulurent, ils purent couper les grappes. Cela leur fut ainsi mis aucunement ; mais ils eurent bien voulu qu’il les eût fait venir toutes mûres.

Au Jour du dimanche, Hélène enchantée.

Au jour du dimanche, des étudiants vinrent, sans être invités, en la maison du docteur Faust pour souper avec lui, et apportèrent avec eux des viandes et du vin, car c’étaient gens de dépense volontaire.

Comme donc le vin eut commencé à monter, il y eut propos à table de la beauté des femmes, et l’un commença de dire à l’autre qu’il ne voulait point voir de belles femmes, sinon la belle Hélène de Grèce, parce que sa beauté avait été cause de la ruine totale de la ville de Troie, disant qu’elle devait être très-belle de ce qu’elle avait été tant de fois dérobée, et que pour elle s’était faite une telle élévation.

Le docteur Faust répondit : Puisque vous avez tant de désir de voir la belle personne de la reine Hélène, femme de Ménélaùs et fille de Tyndare et de Léda, sœur de Castor et de Poliux (qui a été la plus belle femme de la Grèce), je vous la veux faire venir elle-même, que vous voyiez personnellement son esprit en sa forme et stature comme elle a été en vie.

Sur cela, le docteur Faust défendit à ses compagnons que personne ne dit mot, et qu’ils ne se levassent point de la table pour s’émouvoir à la caresser, et sortit hors du poêle.

Ainsi, comme il entrait dedans, la reine Hélène suivait après lui à pied, si admirablement belle que les étudiants ne savaient pas s’ils étaient eux-mêmes ou non, tant ils étaient troublés et transportés en eux-mêmes.

Ladite Hélène apparut en une robe de pourpre noire précieuse ; ses cheveux lui traînaient jusques en bas si excellemment beaux qu’ils semblaient être lin or, et si bas qu’ils venaient jusques au-dessous des jarrets, au gros de la jambe, avec de beaux yeux noirs, un regard amoureux et une petite tête bien façonnée, ses lèvres rouges comme des cerises, avec une petite bouche, un beau long cou blanc comme un cygne, ses joues vermeilles comme une rose, un visage très-beau et lissé, et son corsage longuet, droit et proportionné. Enfin il n’eût pas été possible de trouver en elle une seule imperfection. Elle se fit ainsi voir par toute la salle du poêle avec une façon toute mignarde et poupine, tellement que les étudiants furent enflammés en son amour, et si ce n’est qu’ils savaient que ce fût un esprit, il leur fût facilement venu un tel embrasement pour la toucher. Ainsi Hélène s’en retourna avec le docteur Faust hors de l’étuve.

L’enfant de Faust et d’Hélène

Ici la légende de Faust raconte comment le démon prit pour séduire ce docteur la figure de cette Hélène célèbre dans l’antiquité pour avoir causé tous les malheurs qui accompagnèrent la guerre de Troie. Faust en eut un fils qui périt malheureusement et fut englouti tout vivant dans l’enfer avec le fantôme de sa mère. Cette allégorie nous semble caractériser d’une manière remarquable le génie de la renaissance, qui fut une passion malheureuse de l’esprit humain pour une beauté morte qui était le fantôme du paganisme. Il en naquit une littérature profane condamnée d’avance à périr comme le fils de Faust et d’Hélène. Nous substituons ici notre analyse au texte moine de la légende, qui, dans sa naïveté, nous a paru manquer un peu de gravité et de réserve.

Les lamentations et gémissements du docteur Faust.

Au docteur Faust coulaient les heures comme une horloge, toujours en crainte de casser ; car il était tout affligé, il gémissait, et pleurait, et rêvait en soi-même, battant des pieds et des mains comme un désespéré. Il était ennemi de soi-même et de tous les hommes, en sorte qu’il se fit celer et ne voulut voir personne, non pas môme Méphistophélès ni le souffrir auprès de lui. C’est pourquoi j’ai bien voulu insérer ici une de ses lamentations qui ont été mises par écrit.

Ah ! Faust, tu es bien d’un cœur dévoyé et non naturel qui, par ta compagnie, es damné au feu éternel, lorsque tu avais pu obtenir la béatitude, lors tu l’as instamment perdue. Ah ! libre volonté, est-ce que tu as réduit mes membres, que dorénavant ils ne peuvent plus voir que leur destruction ! Ah ! miséricorde et vengeance, en quoi j’ai eu occasion de m’engager pour gage et abandon ! O indignation et compassion ! pourquoi ai-je été fait homme ? O la peine qui m’est apprêtée pour endurée ! Ha ! ha ! malheureux que je suis ! Ha ! ha ! que me sert de me lamenter ?

Ha ! ha ! ha ! misérable homme que je suis ! O malheureux et misérable Faust ! tu seras fort bien en la troupe des malheureux, que je suis pour endurer les douleurs extrêmes de la mort, et même une mort plus pitoyable que jamais créature malheureuse ait endurée. Ha ! ha ! mes sens dépravés, ma volonté corrompue, mon outrecuidance et libertinage ! O ma vie fragile et inconstante ! ô toi qui as fuit mes membres et mon corps, et mon âme aussi aveugle comme tu es, ô volupté temporelle, en quelle peine et travail m’as-tu amené, que tu as ainsi aveuglé et obscurci mes yeux ! Ha ! ma triste pensée, et toi, mon Ame troublée, où est ta connaissance ? O misérable travail ! ô douteuse espérance ! que jamais plus il ne soit mémoire de toi ! Ha ! tourment sur tourment, ennui sur ennui ! Hélas ! défloration ! Qui me délivrera ? où m’irai-je cacher ? où fuirai-je ? Or je suis où j’ai voulu être : je suis pris !

Sur un tel regret ci-dessus récité, il apparut à Faust son esprit Méphistophélès, qui vint à lui et l’attaqua par ses discours injurieux de reproche et de moquerie.

Comment le docteur Faust fut en enfer.

Le docteur Faust s’ennuyait si fort, qu’il songeait et rêvait toujours de l’enfer. Il demanda à son valet Méphistophélès qu’il fit en sorte qu’il pût enquérir son maître Lucifer et Bélial, et allèrent à eux ; mais ils lui envoyèrent un diable qui avait nom Belzébub, commandant sous le ciel, qui vint et demanda à Faust ce qu’il désirait. Il répond que c’était s’il y aurait quelque esprit qui le pût mener en enfer et le ramener aussi, tellement qu’il pût voir la qualité de l’enfer, son fondement, sa propriété et substance, et s’en retirer ainsi. Oui, dit Belzébub, je te mènerai environ la minuit, et t’y emporterai. Comme donc ce fut a la minuit, et qu’il faisait obscur, Belzébub se montra à lui, et avait sur son dos une selle d’ossements, et tout autour elle était fermée, et y monta Faust là-dessus, et ainsi s’en va de là. Maintenant, écoutez comment le diable l’aveugla et lui fit le tour du singe ; c’est qu’il ne pensait en rien autre chose, sinon qu’il était en enfer.

Il l’emporta en un air où le docteur Faust s’endormit, tout ainsi que quand quelqu’un se met en l’eau chaude ou dedans un bain. Puis après il vint sur une haute montagne, au-dessus d’une grande lie. De là les foudres, les poix et les lances de feu éclataient avec un si grand bruit et tintamarre, que le docteur Faust s’éveilla. Le serpent diabolique faisait de telles illusions en cet abîme au pauvre Faust ; mais Faust, comme il était tout entouré de feu, comme il lui semblait, c’est qu’il ne trouva pourtant pas aucune roussure ni brûlure ; mais il sentait un petit vent comme un rafraîchissement et une récréation. Il entendit aussi là-dessus certains instruments dont toute l’harmonie était fort plaisante ; et toutefois il ne put voir aucun instrument ni comment ils étaient faits, tant l’enfer était en feu, et n’osa pas demander de quelle forme ils étaient laits, car il lui avait été défendu auparavant qu’il ne pouvait absolument parler ni demander d’aucune chose, parce qu’il était ainsi englouti de son diabolique serpent, de Belzébub et de deux ou trois autres. Alors le docteur Faust entra encore plus avant dans l’abîme, et les trois s’en étant allés avec le susdit Belzébub, il se rencontra au docteur Faust sur cela un gros cerf-volant avec de grosses cornes et trompes qui voulut fracasser ou enfondrer le docteur Faust en l’abîme susdit, dont il eut grande frayeur ; mais les trois susdits serpents chassaient avec ledit cerf. Comme donc le docteur Faust se vit entrer plus avant au fond de la caverne, il vil que tout à l’entour de lui il n’y avait rien que des verminiers et couleuvres puantes. Mais les couleuvres étaient fort grosses ; après lesquelles vinrent des ours volant comme au secours, qui combattirent et joutèrent contre les couleuvres et les vainquirent tellement, qu’il lui fut sûr et libre de passer par là, et comme il fut arrivé plus en avant en descendant , voici un gros taureau volant qui venait dessus une grande porte et tour, qui s’en courut ainsi furieux et bramant contre Faust, le poussa si rudement contre son siège, que le siège et le serpent avec vint à donner dessus dessous avec ledit Faust.

Le docteur Faust tomba encore plus bas dans l’abîme avec de grandes blessures et avec un grand cri ; car il pensait déjà maintenant : c’est fait de moi ; môme il ne pouvait plus avoir son esprit. Toutefois il le vint encore attaquer pour le faire tomber plus bas ; un vieux, tout hérissé magot vint le tourmenter et irriter. En la suprémité de l’enfer il y avait un brouillard si épais et ténébreux , qu’il ne voyait rien du tout, et au-dessus il se forma une grosse nuée sur quoi montaient deux gros dragons, et menaient un charriot avec eux où le vieux magôt mit le docteur Faust ; après s’ensuivit, espace d’un gros quart d’heure, une grosse nuée ténébreuse, tellement que le docteur Faust n’eût su voir ni les dragons ni le chariot, ni s’y prendre en tâtonnant ; et en allant plus avant, il descendit encore plus profondément. Mais aussitôt que cette grosse nuée ténébreuse et puante fut engloutie, il vit un cheval et un chariot suivant après. Et après, fut le docteur Faust remis à l’air, et au même instant il entendit plusieurs coups de foudre et éclairs, tellement que cela allaitsi menu, que le docteur Faust se tint coi sans dire mot, ayant grande frayeur et tout tremblant. Sur cela, le docteur Faust vint sur une eau grosse et tempestueuse, où les deux dragons le poussèrent dedans pour y être submergé ; mais il n’y trouvait point d’eau. Ainsi il y trouva une grosse vapeur de chaline ardente, et les vapeurs et les ondes venaient à battre tellement le docteur Faust, qu’il perdit le cheval et son chariot, et tomba encore de plus en plus au profond et en une impétuosité de haut en bas, tant que finalement il vint à tomber dans l’abîme, qui était fort creux et tout pointu par le dedans des rochers ; c’est pourquoi il se tint là comme s’il eût été mort : il regardait de tous côtés, et ne vit personne ni ne put rien entendre. Mais enfin il lui commença à naître une petite lumière : comme il fut descendu encore plus bas, il vit de l’eau à l’entour de lui. Le docteur Faust regarda alors ce qu’il devait faire, disant : « Puisque tu es abandonné des esprits infernaux , il faut que tu t’enfonces dans ce gouffre ou dans celte eau, ou que tu te défasses comment que ce soit. » Alors il se dépila en soi-même, el se va mettre en un courage désespéré au travers un endroit qu’il vit tout en feu, en disant : « Maintenant, vous, esprits, recevez cette offrande dévouée à votre servie », à quoi mon Ame est condamnée. » Comme il se fut ainsi jeté à travers par précipitation, il entendit un bruit et tumulte fort effroyable qui taisait ébranler les montagnes et les rochers, et tant plus que lui pensait qu’il se passai, le bruit se faisait encore plus grand ; et comme il fut venu jusqu’au fondement, il vit dans le feu plusieurs bourgeois, quelques empereurs, rois, princes, seigneurs, et des gens d’armes tout enharnachés à milliers. Autour du feu il y eu avait une grande chaudière pleine d’eau, dont quelques-uns d’eux buvaient ; les autres se rafraîchissaient et baignaient ; les autres, sortant de la chaudière, s’en couraient au feu pour s’échauffer.

Le docteur Faust entra dans le feu, en voulut tirer une Ame damnée , et comme il pensait la tenir par la main, elle s’évanouit de lui tout à coup en arrière. Mais il ne pouvait alors demeurer là longtemps à cause de la chaleur ; et comme il regardait ça et là, voici que vint le dragon ou bien Belzébub avec sa selle dessus, et s’assit dessus et le passa ainsi en haut ; car Faust ne pouvait là plus endurer à cause des tonnerres, des tempêtes, des brouillards, du soufre, de la fumée, du feu, froidure et chaleur mêlés ensemble ; de plus, à cause qu’il était las d’endurer les effrois, les clameurs, les lamentations des malheureux, les hurlements des esprits, les travaux et les peines, et autres choses. Le docteur Faust n’ayant eu en tout ce temps-là aucun, bien au dedans de cet enfer, aussi son Valet n’avait pensé autre chose d’en pouvoir rien emporter, puisqu’il avait désiré de voir l’enfer, il eût mieux aimé le voir une fois et demeurer toujours dehors, puis après. En cette façon vint Faust derechef en sa maison. Après qu’il se fut ainsi endormi sur sa selle, l’esprit le rejeta tout endormi sur son lit ; et après que le jour fut venu et que le docteur Faust fut réveillé, il ne se trouva point autrement que s’il se fût trouvé aussi longtemps en une prison ténébreuse, car il n’avait point vu autre chose, sinon comme des monceaux de feu et ce que le feu avait baillé de soi. Le docteur Faust, ainsi couché sur son lit, pensait après l’enfer. Une fois il le prenait à bon escient qu’il eût été là-dedans, et qu’il l’avait vu ; une autre fois il doutait là-dessus que le diable lui eût fait quelque illusion et trait d’enchanterie par les yeux, comme cela fut vrai ; car il n’avait garde de lui faire voir effectivement l’enfer, de crainte de lui causer trop d’appréhension. Cette histoire et cet acte, touchant ce qu’il avait vu, et comment il avait été transporté en enfer, et comment le diable l’avait aveuglé, le docteur Faust lui-même l’a ainsi écrit, et a été ainsi trouvé après sa mort en une tablette de la propre écriture de sa main, et ainsi couché en un livre fermé qui fut trouvé après sa mort.

Esprits infernaux, entre lesquels les sept principaux sont nommés par leurs noms.

Le diable, qui s’appelle Bélial, dit au docteur Faust : Depuis le septentrion j’ai vu ta pensée, et est telle que volontiers tu pourrais voir quelques-uns des esprits infernaux qui sont princes ; pourtant j’ai voulu m’apparaître à toi avec mes principaux conseillers et serviteurs à ce que tu aies ton désir accompli. Le docteur Faust répond : Or sus, où sont-ils ? Sur cela Bélial les fit venir. Or Bélial était apparu au docteur Faust en la l’orme d’un éléphant marqueté et ayant l’épine du dos noire ; seulement ses oreilles lui pendaient en bas, et ses veux tout remplis de feu avec de grandes dents blanches comme neige, et une longue trompe qui avait trois aunes de longueur démesurée, et avait au col trois serpents volants. Ainsi vinrent au docteur Faust les esprits l’un après l’autre dans son poêle ; car ils n’y eussent pu être tous à la fois. Or Bélial les montra au docteur Faust l’un après l’autre comme ils étaient et comment ils s’appelaient. Ils vinrent devant lui, les sept esprits principaux, a savoir : le premier, Lucifer, le maître gouverneur du docteur Faust, lequel se décrit ainsi : c’était un grand homme, et était chevelu et picoté, de la couleur comme des glands de chênes rouges, qui avaient une grande queue après eux. Après venait Belzébub, qui avait les cheveux peints de couleur, velu par tout le corps ; il avait une tête de bœuf avec deux oreilles effroyables, aussi tout marqueté de hampes, et chevelu, avec deux gros floquets si rudes comme les charains du foulon qui sont dans les champs, demi-vert et jaune, qui flottaient sur les floquets d’en bas, qui étaient comme d’un four tout de feu ; il avait une queue de dragon. Astaroth, celui-ci, vint en la forme d’un serpent, et allait sur la queue tout droit ; il n’avait point de pieds ; sa queue avait des couleurs comme de briques changeantes ; son ventre était fort gros ; il avait deux petits pieds fort courts, tout jaunes, et le ventre un peu blanc et jaunâtre, le cou tout de châtain roux, et une pointe en façon de piques et traits, comme le hérisson, qui avançaient de la longueur des doigts. Après vint Satan, tout blanc et gris, et marqueté ; il avait la tête d’un âne et avait la queue comme d’un chat, et les cornes des pieds longues d’une aune. Suivit aussi Annabry : il avait la tête d’un chien noir et blanc, et des mouchetures blanches sur le noir, et sur le blanc des noires ; seulement il avait les pieds et les oreilles pendantes comme un chien, qui étaient longues de quatre aunes.

Après tous ceux-ci, venait Dythican, qui était d’une aune de long ; mais il avait seulement le corps d’un oiseau, qui est la perdrix ; il avait seulement tout le cou vert et moucheté ou ombragé.

Le dernier fut Drac, avec quatre pieds fort courts, jaune et vert, le corps par-dessus flambant brun, comme du feu bleu, et sa queue rougeâtre. Ces sept, avec Bélial, qui sont ses conseillers d’entretien, étaient ainsi habillés des couleurs et façons qui ont été récitées.

D’autres aussi lui apparurent, avec semblables figures, comme des botes inconnues, comme des pourceaux, daims, cerfs, ours, loups, singes, lièvres, buffles, chevaux, boucs, verrats, unes et autres semblables. En telles couleurs et formes, ils se présentèrent à lui selon que chacun sortait dudit poêle, l’un après l’autre. Le docteur Faust s’étonna fort d’eux, et demanda aux sept qui s’étaient arrêtés, pourquoi ils étaient apparus en autres ? Ils répondirent et diront qu’autrement ils ne pourraient plus rentrer en enfer, et pourtant qu’ils étaient les bêtes et les serpents infernaux ; quoiqu’ils fussent fort effroyables et hideux, toutefois, ils pouvaient aussi prendre forme et barbe d’homme quand ils voulaient. Le docteur Faust dit là-dessus : C’est assez, puisque les sept sont ici, et pria les autres de prendre leur congé, ce qui fut fait.

Lors le docteur Faust leur demanda qu’ils se fissent voir en essai pour voir ce qu’il en arriverait, et alors ils se changèrent l’un après l’autre, comme ils avaient fait auparavant, en toutes sortes de bêtes, aussi en gros oiseaux, en serpents et en bêtes de rapine à quatre et a deux pieds. Cela plut bien au docteur Faust, et leur dit : Si lui aussi le pourrait davantage ? Ils dirent oui, et lui jetèrent un petit livre de sorcellerie, et qu’il fit aussi son essai, ce qu’il fit de fait. Toutefois le docteur Faust ne put pas faire davantage. Et devant qu’eux aussi voulussent prendre congé, il leur demanda qui avait fait es insectes ? Ils dirent : Après la faute des hommes ont été créés les insectes, afin que ce fût pour la punition et honte des hommes, et nous autres ne pouvons tant, que de faire venir force insectes, comme d’autres bêtes ; lors tout incontinent apparurent, au docteur Faust, dans son poêle ou étuve, toutes sortes de tels insectes, comme fourmis, lézards, mouches bovines, grillons, sauterelles et autres. Alors toute la maison se trouva pleine de cette vermine. Toutefois, il était fort en colère contre tout cela, transporté et hors de son sens ; car entre autres de tels reptiles et insectes, il y en avait qui le piquaient comme fourmis le mordaient, les bergails le piquaient, les mouches lui couraient sur le visage, les puces le mordaient, les taons ou bourdons lui volaient autour. Tant qu’il en était tout étonné, les poux le tourmentaient en la tête et au cou, les araignées lui filaient de haut en bas, les chenilles le rongeaient, les guêpes l’attaquaient. Enfin il fut tout partout blessé de toute cette vermine, tellement qu’on pourrait bien dire qu’il n’était encore qu’un jeune diable, de ne se pouvoir pas détendre de ces bestions. Au reste, le docteur Faust ne pouvait pas demeurer dans lesdits étuves ou poêles ; mais d’abord qu’il fut sorti du poêle, il n’eut plus aucune plaie, et n’y eut plus de tels fantômes autour de lui, et tous disparurent, s’étant dévorés l’un l’autre vivement, et avec promptitude.

Moqueries de Méphistophélès, et gémissements du docteur Faust.

Comme le docteur Faust se tourmentait tellement qu’il ne pouvait plus parler, son esprit Méphistophélès vint a lui, et lui dit : D’autant que tu as su la sainte Ecriture, et qu’elle t’enseigne de n’aimer et adorer qu’un seul Dieu, le servir seul, et non pas un autre, ni à gauche, ni à droite, et que c’était ton devoir d’être soumis et obéissant à lui ; mais comme vous n’avez pas fait cela, ainsi au contraire, vous l’avez abandonné, et renié, vous avez perdu sa grâce et miséricorde ; et vous vous êtes ainsi abandonné en corps et en Ame à la puissance du diable ; c’est pourquoi il faut quo vous accomplissiez votre promesse ; et entends bien mes rhythmes :

As-tu clé, ainsi quoi ?
Tout bien te sera sans émoi.
As-tu cela, tiens-le bien,
Le malheur vient on un rien.
Parlant, tais-toi, souffre et accorde,
Nul ton malheur plaint ni recorde.
C’est ta honte, et de Dieu l’offense.
Ton mal court toujours sans dépense.

Partant, mon Faust, il n’est pas bon de manger avec de grands seigneurs et avec le diable, des cerises, car il vous en jette les noyaux au visage, comme tu vois maintenant ; c’est pourquoi il te faut tenir loin de là. Tu eusses été assez loin de lui, mais ta superbe impétuosité l’a frappé ; tu as un art que ton Dieu t’a donné, lu l’as méprisé, et ne l’as pas rendu utile ; mais tu as appelé le diable au logis, et vous êtes convenu avec lui pour vingt-quatre ans, jusque aujourd’hui. Il ta été tout d’or, ce que l’Esprit t’a dit : Partant, le diable t’a mis une sonnette au col comme à un chat. Vois-tu ? tu as été une très-belle créature dès ta naissance ; niais tout ainsi qu’un homme porte une rose en sa main, elle est passée et écoulée ; il n’en demeure rien ; tu as mangetout ton pain, tu peux bien chanter la chansonnette ; tu es venu jusqu’au jour du carême - prenant, tu seras bientôt à Pâques. Tout ce que tu appelles à ton aide ne sera pas sans occasion ; une saucisse lotie a deux bouts. Du diable il ne peut rien venir de bon ; tu as eu un mauvais métier et nature, pourtant la nature ne laisse jamais la nature ; ainsi un chat ne laisse jamais la souris. L’aigre principalement fait l’amertume. Pendant que la cuiller est neuve, il en faut user à la cuisine ; après quand elle est vieille, le cuisinier la jette, autant que ce n’est plus que fer. N’est-il pas ainsi de toi ? N’es-tu pas un vrai pot neuf, et une cuiller neuve pour le diable ? Maintenant il ne t’est point nécessaire que le marchand t’apprenne à vendre. En après, n’as-tu pas suffisamment l’ait entendre, par ta préface, que Dieu t’a abandonné ? De plus, mon Faust, n’as-tu pas abusé par une témérité grande, qu’en toutes tes affaires et en ton département tu t’es appelé l’ami du diable ? Tu as voulu être appelé le maître Jean en tous bourgs ou villages ; ainsi pourrait être un homme fou, de vouloir jouer avec les pots au lait ; quiconque veut beaucoup avoir aura fort peu. Fais maintenant cette mienne doctrine entrer dedans ton cœur ; et mon enseignement, lequel tu as possible oublié, c’est que tu n’avais pas bien connu qui est le diable, d’autant qu’il est le singe de Dieu. Aussi est-il un menteur et meurtrier, et la moquerie apporte diffame. Oh !si vous eussiez eu Dieu devant les yeux ! mais tu t’es laissé aller. Après donc que le diable eut assez chanté ces choses à Faust, il disparut incontinent, et rendit le docteur tout mélancolique et troublé. ++++

La damnation.

Les vingt-quatre ans du docteur Faust étaient terminés, quand en la dernière semaine l’Esprit lui apparut. Il le somma sur son écrit et promesse, qu’il lui mit devant les yeux, et lui dit que le diable, la seconde nuit d’après, lui emporterait sa personne, et qu’il en fût averti.

Le docteur Faust, tout effrayé, se lamenta et pleura toute la nuit. Mais son esprit lui ayant apparu, lui dit : Mon ami, ne sois point de si petit courage : si tu perds ton corps, il n’y a pas loin d’ici jusqu’à ce qu’on te fasse jugement. Néanmoins tu mourras à la fin, quand môme tu vivrais cent ans : Les Turcs, les Juifs, et les empereurs qui no sont pas chrétiens, mourront aussi, et pourront être en pareille damnation. Ne sais-tu pas bien encore qu’il t’est ordonné ? Sois de bon courage, ne t’afflige pas tant, si le diable t’a ainsi appelé, il te veut donner une âme et un corps de substance spirituelle, et tu n’endureras pas comme les damnés. Il lui donna de semblables consolations, fausses cependant et contraires à l’Ecriture Sainte. Le docteur Faust, qui ne savait pas comment payer autrement sa promesse qu’avec sa peau, alla, le jour susdit que l’Esprit lui avait prédit que le diable l’enlèverait, trouver ses plus fidèles compagnons, maîtres bacheliers et autres étudiants, lesquels l’avaient souvent cherché ; il les pria qu’ils voulussent venir avec lui au village de Romlique, situé à une demi-lieue de Wittenberg, pour s’y aller promener, et puis après prendre un souper avec lui, ce qu’ils lui accordèrent. Ils allèrent là ensemble, et y prenaient un déjeuner assez ample, avec beaucoup de préparatifs somptueux et superflus, tant en viandes qu’en vin que l’hôte leur présenta ; et le docteur Faust se tint avec eux fort plaisamment ; mais ce n’était pas de bon cœur. Il les pria encore derechef qu’ils voulussent avoir agréable d’être avec lui, et souper avec lui au soir, et qu’ils demeurassent avec lui toute la nuit, qu’il avait à leur dire chose d’importance ; ils le lui promirent et prirent encore un souper. Comme donc le vin du souper fut servi, le docteur Faust contenta l’hôte, et pria les étudiants qu’ils voulussent aller avec lui, en un autre poêle, et qu’il avait la quelque chose à leur dire. Cela fut fait, et le docteur Faust parla à eux de la sorte.

Mes amis fidèles et du tout aimés du Seigneur, la raison pourquoi je vous ai appelés est que je vous connais depuis longtemps et que vous m’avez vu traiter de beaucoup d’expériments et incantations, lesquels toutefois ne sont provenus d’ailleurs que du diable, à laquelle volupté diabolique rien ne m’a attiré que les mauvaises compagnies qui m’ont circonvenu, et tellement que je me suis obligé au diable ; à savoir, au dedans de vingt-quatre ans, tant on corps qu’en Ame. Maintenant ces vingt-quatre ans-là sont à leur lin jusqu’à cette nuit proprement, et voici à présent, l’heure m’est présentée devant les yeux, que je serai emporté : car le temps est achevé de sa course ; et il me doit enlever cette nuit, d’autant que je lui ai obligé mon corps et mon Ame, si sûrement que c’est avec mon propre sang.

Finalement, et pour conclusion, la prière amiable que je vous fais est que vous vouliez vous mettre au lit et dormir en repos, et ne vous mettez pas en peine si vous entendez quelque bruit à la maison, ne vous levez point du lit, car il ne vous arrivera aucun mal ; et je vous prie, quand vous aurez trouvé mon corps, que vous le fassiez mettre en terre ; car je meurs comme un bon chrétien, et comme un mauvais tout ensemble ; comme un bon chrétien, d’autant que j’ai une vive repentance dans mon cœur, avec un grand regret et douleur ; je prie Dieu de me faire grâce, afin que mon Ame puisse être délivrée. Je meurs aussi comme un mauvais chrétien, d’autant que je veux bien que le diable ait mon corps, que je lui laisse volontiers, et que seulement il me laisse avec mon âme en paix. Sur cela, je vous prie que vous vouliez vous mettre au lit, et je vous désire et souhaite la bonne nuit ; mais à moi, elle sera pénible, mauvaise et épouvantable.

Le docteur Faust fit cette déclaration avec une affection cordiale, avec laquelle il ne se montrait point autrement être affligé, ni étonné, ni abaissé de courage. Mais Tes étudiants étaient bien surpris de ce qu’il avait été si dévoyé, et que pour une science trompeuse, remplie d’impostures et d’illusions, il se fût ainsi mis en danger de s’être donné au diable en corps et en âme ; cela les affligeait beaucoup, car ils l’aimaient tendrement. Ils lui dirent : Ah ! monsieur Faust, où vous êtes-vous réduit, que vous ayez si longtemps tenu cela en secret, sans en rien dire, et ne nous ayez point révélé pi us tôt cette triste affaire ? Nous vous eussions délivré de la tyrannie du diable par le moyen des bons théologiens. Mais maintenant c’est une difamie et une chose honteuse à votre corps et à votre âme. Le docteur Faust leur répondit : il ne m’a été nullement loisible de ce faire, quoique j’en aie eu souvent la volonté. Comme là-dessus un voisin m’avait averti, j’eusse suivi sa doctrine, pour me retirer de telles illusions et me convertir ; mais alors que j’avais fort bien la volonté de le faire, le diable vint qui me voulut enlever, comme il fera cette nuit, et me dit qu’aussitôt que je voudrais entreprendre de me convertir à Dieu, il m’emporterait avec soi dans l’abîme des enfers.

Comme donc ils entendirent cela du docteur Faust, ils lui dirent : Puisque maintenant il n’y a pas moyen de vous garantir, invoquez Dieu, et le priez que, pour l’amour de son cher fils Jésus-Christ, il vous pardonne, et dites : Ah ! mon Dieu ! soyez miséricordieux à moi, pauvre pécheur, et ne venez point en jugement contre moi ; car je ne puis pus subsister devant vous, et combien qu’il me faille laisser mon corps au diable, veuillez néanmoins garantir mon finie : s’il plaît à Dieu, il vous garantira. Il leur dit qu’il voulait bien prier Dieu, et qu’il ne voulait pas se laisser aller comme Caïn, lequel dit que ses péchés étaient trop énormes pour en pouvoir obtenir pardon. Il leur récita aussi comme il avait fait ordonnance par écrit de sa fosse pour son enterrement. Ces étudiants et bons seigneurs donnèrent le signe de la croix sur Faust pour se départir, pleurèrent et s’en allèrent l’un après autre.

Mais le docteur Faust demeura au poêle, et comme les étudiants s’allaient mettre au lit, pas un ne put dormir ; car ils voulaient entendre l’issue. Mais, entre douze et une heure de nuit, il vint dans la maison un grand vent tempétueux qui l’ébranla de tous côtés, comme s’il eût voulu la faire sauter en l’air, la renverser et la détruire entièrement : c’est pourquoi les étudiants pensèrent être perdus, sautèrent hors de leurs lits, et se consolaient l’un l’autre, se disant qu’ils ne sortissent point de la chambre. L’hôte s’encourut avec tous ses domestiques en une autre maison. Les étudiants qui reposaient auprès du poêle, où était le docteur Faust, y entendirent des sifflements horribles et des hurlements épouvantables, comme si la maison eût été toute pleine de serpents, couleuvres, et autres bêtes vilaines et sales : tout cela était entré par la porte du docteur Faust dans le poêle. Il se leva pour crier à l’aide et au meurtre, mais avec bien de la peine et à demi voix ; et un moment après on ne l’entendit plus. Comme donc il fut jour, et que les étudiants, qui n’avaient point dormi toute la nuit, furent entrés dans le poêle, où était le docteur Faust, ils ne le trouvèrent plus, et ne virent rien, sinon le poêle tout plein de sang répandu : le cerveau s’était attaché aux murailles, d’autant que le diable l’avait jeté de l’un à l’autre. Il y avait là aussi ses yeux et quelques dents, ce qui était un spectacle abominable et effroyable. Lors les étudiants commencèrent à se lamenter et à pleurer, et le cherchèrent d’un côté et d’autre. A la fin ils trouvèrent son corps gisant hors du poêle, ce qui était triste à voir ; car le diable lui avait écrasé la tête et cassé tous les os.

Les susdits maîtres et étudiants, après que Faust fut ainsi mort, demeurèrent auprès de lui jusqu’à ce qu’on l’eût enterré au même lieu ; après, ils s en retournèrent à Wittenberg, et allèrent en la maison du docteur Faust, où ils trouvèrent son serviteur Wagner, qui se trouvait fort mal, à cause de son maître. Ils trouvèrent aussi l’histoire de Faust toute dressée et décrite par lui-même, comme il a été récité ci-devant, mais sans la fin, laquelle a été ajoutée des maîtres et étudiants. Semblablement au même jour, Hélène enchantée avec son fils d’enchantement ne furent plus trouvés depuis, mais s’évanouirent avec lui. Il y eut aussi, puis après dans sa maison, une telle inquiétude, que personne depuis n’y a pu habiter. Faust apparut à son serviteur Wagner, encore plein de vie, en la môme nuit, et lui déclara beaucoup de choses secrètes. Et même on l’a vu encore depuis paraître à la fenêtre, qui jouait avec quiconque y fût allé.

Ainsi finit toute l’histoire de Faust, qui est pour instruire tout bon chrétien, principalement ceux qui sont d’une tête et d’un sens capricieux, superbe, fou et téméraire, à craindre Dieu et à fuir tous les enchantements et tous les charmes du diable, comme Dieu a commandé bien expressément, et non pas d’appeler le diable chez eux et lui donner consentement, comme Faust a fait ; car ceci nous est un exemple effroyable. Et tâchons continuellement d’avoir en horreur telles choses et d’aimer Dieu surtout ; élevons nos yeux vers lui, adorons-le et chérissons-le de tout noire cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces : et à l’opposite, renonçons nu diable et à tout ce qui en dépend ; et qu’ainsi nous soyons finalement Bienheureux avec Notre-Seigneur. Amen. Je souhaite cela à un chacun du profond de mon cœur. Ainsi soit-il.

Soyez vigilants et prenez garde ; car votre adversaire le diable va autour de vous, comme un lion bruyant, et cherche qui il dévorera : auquel résistez, fermes en la foi. Amen.

Conclusion

Cette légende, comme on le voit, n’offre aucune donnée qui se rattachée l’invention de l’imprimerie dont Faust partage l’honneur avec Guttemberg et Schœffer : nous avons choisi la plus curieuse ; mais un grand nombre d’autres constatent ce détail et supposent que Faust s’était donné au diable pour réparer sa fortune, perdue dans les essais de son invention. Le plus ancien auteur qui ait parlé de ces documents, Conrad Durieux, pense que ces légendes ont été fabriquées par des moines irrités de la découverte de Johann Fust ou Faust, qui leur enlevait les utiles fonctions de copistes de manuscrits. Klinger, l’auteur allemand du livre remarquable intitulé les Aventures de Faust, et sa descente aux enfers, a admis celte version.

Cependant à Leipsik, où l’on voit encore la cave de l’Auerbach, illustrée par le souvenir de Faust et de Méphistophélès (comme on le verra dans la pièce), les peintures anciennes conservées dans les arcs des voûtes et qui viennent d’être restaurées, portent la date de 1525, et l’invention de l’imprimerie date environ de 1440 ; il faudrait donc admettre, ou qu’il a existé deux Faust différents, ou que Faust était très-vieux lorsqu’il fit un pacte avec le diable ; ce qui rentrerait du reste, dans la supposition qu’a faite Goethe, qu’il invoque le diable pour se rajeunir.

Suivant l’opinion la plus accréditée, Faust naquit à Mayence où il commença par être orfèvre. Plusieurs villes, du reste, se disputent l’honneur de lui avoir donné naissance et conservent des objets que son souvenir rend précieux ; Francfort, le premier livre qu’il a imprimé ; Mayence, sa première presse. On montre aussi, à Wittemberg, deux maisons qui lui ont appartenu et qu’il légua à son disciple Wagner. L’histoire du vieux Paris conserve aussi des souvenirs de Faust, qui vint apporter à Louis XI un exemplaire e la première Bible, et qui, accusé de magie, à cause de son invention môme, parvint à se soustraire au bûcher, ce que l’on attribua, comme toujours, à l’intervention du diable.

« L’histoire de Faust, populaire tant en Angleterre qu’en Allemagne, et connue môme en France depuis longtemps, comme on peut le voir par la légende, a inspiré un grand nombre d’auteurs de différentes époques. L’œuvre la plus remarquable qui ait paru sur ce sujet, avant celle de Goethe, est un Faust du poète anglais Marlowe, joué en 1589, et qui n’est dépourvu ni d’intérêt ni de valeur poétique. La lutte du bien et du mal dans une haute intelligence est une des grandes idées du XVI siècle, et aussi du nôtre ; seulement la forme de l’œuvre et le sens du raisonnement diffèrent, comme on peut le croire, et les deux Faust de Marlowe et de Goethe formeraient sous ce rapport un contraste intéressant à étudier. On sent dans l’un le mouvement des idées qui signalaient la naissance de la réforme ; dans l’autre, la réaction religieuse et philosophique qui la suivie et laissée en arrière. Chez l’auteur anglais, l’idée n’est ni indépendante de la religion, ni indépendante des nouveaux principes qui l’attaquent ; le poète est à demi enveloppé encore dans les liens de l’orthodoxie chrétienne, à demi disposée les rompre. Goethe, au contraire, n’a plus de préjugés à vaincre, ni de progrès philosophiques à prévoir. La religion a accompli son cercle, et l’a fermé ; la philosophie a accompli de même et fermé le sien. Le doute qui en résulte pour le penseur n’est plus une lutte à soutenir, niais un choix à l’aire ; et si quelque sympathie le décide à la fin pour la religion, on peut dire que son choix a été libre et qu’il avait clairement apprécié les deux côtés de cette superbe question.

« La négation religieuse qui s’est formulée en dernier lieu chez nous par Voltaire, et chez les Anglais par Byron, a trouvé dans Goethe un arbitre plutôt qu’un adversaire. Suivant dans ses ouvrages les progrès ou du moins la dernière transformation de la philosophie de son pays, ce poêle a donné à tous les principes en fuite une solution complète, qu’on peut ne pas accepter, mais dont il est impossible de nier la logique savante et parfaite. Ce n’est ni de l’éclectisme ni de la fusion ; l’antiquité et le moyen âge se donnent la main sans se confondre, la matière et l’esprit se réconcilient et s’admirent ; ce qui est déchu se relève ; ce qui est faussé se redresse : le mauvais principe lui-même se fond dans l’universel amour. C’est le panthéisme moderne : Dieu est dans tout. »

Cette appréciation du Faust de Goethe est de M. Gérard de Nerval. Mais ici la voix populaire aura encore raison contre un homme de science et d’esprit. En pratique le panthéisme détruit Dieu, puisqu’il confond les notions du bien et du mal et anéantit la morale : or, si les notions fondamentales de la morale reposent sur celle de Dieu, on peut dire aussi quo réciproquement l’idée de Dieu est fondée sur les notions mordes, dont elle est la règle et l’abstraction vivantes. Le panthéisme spéculatif est donc l’athéisme pratique, et l’athéisme pratique doit conduire bientôt à l’athéisme spéculatif. La voix publique a donc raison lorsqu’elle accuse Goethe d’avoir été athée : car on nie tout, aussi bien Dieu en voulant ajouter qu’en voulant retrancher quelque chose à son être ; dire plus de l’infini, c’est nécessairement en dire moins, et ajouter seulement un au nombre universel, c’est retrancher tout. Voilà ce que fait le panthéisme.

Mais nous n’avons pas à donner ici des preuves de notre opinion sur Goethe, dont le drame n’appartient à la littérature religieuse quo par ses emprunts à la légende et par son magnifique débat, que nous avons rapporté ailleurs, et qui est imité des plus belles pages du livre de Job.



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