L’Entrée en Métaphysique

Gaboriau (EM:238-245) - Au principe est le logos

Aux origines de la métaphysique
samedi 19 novembre 2022.
 

GABORIAU, Florent. Nouvelle Initiation Philosophique. I L’Entrée en métaphysique. Paris : Casterman, 1962

Chapitre II - Aux Origines de la Métaphysique. Carrefours I

Si la Métaphysique est aussi une « philosophie de la religion », si du moins elle consiste à « vérifier » tout ce qui se dit, pour le passer au crible du réel, rien de ce qui s’écrit, - y compris dans les livres sacrés d’une sagesse comme celle de l’Évangile, - ne saurait laisser indifférent le penseur (ni échapper à sa critique). Sans doute doit-on admettre que l’entière vérité d’un tel message, la portée mystérieuse d’un tel langage, ne puissent passer aux yeux des croyants pour une conquête de la raison : la philosophie s’en rend compte, et la tradition de foi catholique l’affirme. N’empêche que la sagesse rationnelle trouve une singulière consonnance à des textes comme celui-ci où se trouve souligné le rapport dont la vie chrétienne illustre l’importance : parole-pensée-vie.

Il faut entendre ce Prologue de Jean, en se souvenant des Grecs à qui il s’adresse, dans leur langue, et du Sémite qu’il est resté foncièrement, dans son esprit. Nul doute que le texte ne reçoive de ce double éclairage un supplément d’âme, - de sens, je dis bien, authentique. Ce n’est pas en effet acquérir l’intelligence d’une page assurément pesée, (issue de longues méditations), que d’en borner la portée aux horizons qui nous sont plus ordinaires, professionnellement plus accessibles. S’ouvrir à cette confidence, c’est, quand la perspective dans l’esprit de l’auteur s’élargit, ne point la restreindre par un effet du nôtre. Le retrait devrait alors avoir une raison : scientifiquement, il faudrait la donner, pour refuser au texte la portée qu’il semble présenter. Si l’on s’y ferme, on l’ampute, pensons-nous ; on lui fait subir un traitement tel, que les orientations propres du « positif » (et des « sciences positives ») en éliminent toute valeur métempirique.

Pourtant, l’évangéliste écrit à Éphèse, patrie d’Héraclite, à des Grecs dont il n’ignore pas les préoccupations. Il veut rencontrer leur attention. Or des mots comme « logos », « theos », « cosmos », « arche », pour ne citer que les principaux, sont lourds d’un héritage culturel, où la sagesse des siècles a déposé d’indéniables références. L’Apôtre ne peut ignorer le halo où baigne un tel vocabulaire, ni les approximations doctrinales qui s’y frayent un chemin. Par ailleurs, Jean est sémite. Et si l’œuvre n’est point une traduction, il faut savoir que son style se ressent, jusque dans la syntaxe, de ce qui est une transcription plus ou moins laborieuse de sa pensée native. L’intelligence du substrat en conditionne la lecture.

Tenant compte de ces deux données, voici la lecture que nous proposerions en numérotant les énoncés. La justification suivra par mode [239] de paraphrase, basée sur des considérations littérales. Nous signalons immédiatement dans la marge l’emploi respectif des verbes « être » et « devenir », - en attendant plus d’explication.

1. Au commencement est le Logos(être)
2. et le Logos est face-à Dieu(être)
3. et il est Dieu le Logos(être)
4. ce dernier est, au commencement, face à Dieu.(être)
5. Toutes-choses paraissent à travers Lui(devenir)
6. hors de lui ne paraît rien(devenir)
7. ce qui est-paru en lui Est Vie(devenir)-(être)
8. et la vie est la lumière des hommes(être)
9. C’est en ténèbres que brille la lumière
10. et les ténèbres ne l’étouffèrent point.
11. Parut un homme, envoyé de Dieu(devenir)
12. Son nom : Jean
13. Ce dernier vint en témoignage afin de témoigner au sujet de la lumière afin que tous crussent à travers lui.
14. Il n’est pas, lui, la lumière mais pour témoigner au sujet de la lumière(être)
15. Elle est la Lumière, la vraie, celle-là qui éclaire tout homme en venant dans le monde,(être)
16. dans le monde elle est(être)
17. Et le monde à travers elle (ou à travers lui) est-venu et le monde ne l’a pas reconnu, lui (comme logos)(devenir)
18. Il vint dans ce qui était sien et les siens ne l’ont pas accueilli
19. Et le Logos devint chair et il demeura parmi nous et nous vîmes sa « gloire »(devenir)
20. gloire qu’il tient de son Père, comme Fils-Unique rempli qu’il est de grâce et de vérité.
21. Jean témoigne de lui. Il s’est écrié : « Voici qu’il est celui(être)
dont j’ai dit : qui vient derrière moi est-passé devant moi parce qu’il est avant moi.(devenir)
31. La « Loi » à travers Moïse nous fut donnée La grâce et la vérité à travers Jésus-Messie est-venue(devenir)
32. Dieu, personne ne l’aperçut jamais(aoriste historique comme en 19 1re et 3e ligne)
33. (Fils-Unique, Dieu)(absent de nombreux mss)
l’Étant sur le sein du Père celui-là l’a explicité.(comme penché dans, « vers », acc. de mouvement)

Notre effort a été de reproduire aussi littéralement que possible la tournure des phrases, la place de chaque terme, le temps de chaque verbe, et l’identité des prépositions (par ex. dia = à travers).

Or précisément deux verbes jouent ici un rôle manifestement capital, encore qu’il passe souvent inaperçu : le verbe « être » et le verbe « devenir » (ou « paraître », venir à l’être, se produire). Nous les distinguons. La Bible de Jérusalem les emploie l’un pour l’autre. On verra si nos scrupules sont légitimes. On ne peut en tout cas se refuser a priori à une méthode strictement littérale.

Dans le même souci de traduction mot à mot, nous observons que ces verbes se trouvent différemment conjugués. Non point le verbe « être », qui est toujours à l’imparfait (sauf une fois le participe présent, 33). Mais le verbe « devenir », tantôt à l’imparfait, et tantôt au parfait.

La Bible de Jérusalem traduit le verbe « être » (à l’imparfait en grec), de manière constante, par l’imparfait français : « au commencement le Verbe était, et le Verbe était avec Dieu, etc... »

Elle traduit le verbe « devenir » et très précisément egeneto très différemment, tantôt par « fut », tantôt par « parut », tantôt par « est passé », tantôt par « s’est fait ». Ainsi : « tout fut par lui... Parut un homme... le Verbe s’est fait chair... qui vient après moi est passé devant moi ». On a dans tous ces cas l’imparfait grec, désignant un fait qui continue d’être vrai, qui n’est point achevé.

Quand le verbe est au parfait, la Bible de Jérusalem traduit soit en recourant au substantif : « tout être » (pour « ce qui a été produit ») ; soit par « est passé » (ligne 21, 5).

De fait le verbe genesthai a bien ce sens : devenir, paraître, venir à l’existence, se produire. Et non point tout uniment : « être, exister ». Sans doute les réalités de tous les jours, les destinées particulières qui s’y meuvent, bref l’histoire, les évènements et les personnes sont aussi [bien] des formes d’existence. Mais la confusion n’étant point faite dans le texte johannique entre ce à quoi on attribue le verbe « être », et ce à quoi on attribue le verbe « devenir » (ou paraître), il me semble correct de ne la point commettre en traduisant ; et de réfléchir effectivement à une distinction qui pourrait bien correspondre à un discernement fort significatif. Le leitmotiv y paraît fait d’alternances très étudiées.

Il est de fait que tout au long de ce Prologue, « être » s’applique au Logos, à Dieu, à la Vie, à la Lumière (« l’authentique »), qui éclaire tout homme, et dont on dit qu’elle est, dans le cosmos, quand bien même ce dernier la méconnaît.

« Devenir », paraître, venir à l’existence, convient à tout le reste : « toutes choses » dit le texte, tout ce qui est livré au fil de l’histoire, ayant y x un début en dépendance de Logos qui est au principe. Devenir convient donc au « cosmos », (verset 10). Et finalement au « Logos » lui-même, devenu chair et paraissant de la sorte (si bien qu’on voit sa gloire, - héritée de son Père, - tandis que Dieu lui-même personne ne l’a jamais aperçu). Ce « Fils-Unique du Père », héritier de sa gloire, « est passé devant moi » dit Jean (Bible de Jérusalem), dans l’ordre même du devenir et de l’histoire : car il appartient désormais à cet ordre de réalités charnelles. N’empêche qu’il demeure et qu’il n’en demeure pas moins, de par son existence même, « premier » : protos mou hen, « il est avant moi », ajoute le Baptiste ; le verbe choisi est là encore significatif.

Cette paraphrase suppose qu’on tienne compte dans la traduction, d’une remarque d’ailleurs classique relative à la conjugaison des verbes. Nos langues conjuguent en fonction du temps (catégorie historique) : présent, passé, futur. En hébreu, comme en d’autres langues orientales le verbe se modifie (désinences et cadences) en tenant compte de l’état où en est l’action (l’action, catégorie métaphysique plus importante). L’action est-elle accomplie ? « Parfait » ! Inachevée ? « Imparfait » ! Deux formes donc, et deux formes seulement dont aucune ne se superpose exactement à nos « temps » de conjugaison. Or on est toujours tenté de calquer un langage sur l’autre, sans prendre garde qu’on transfère, si l’on peut dire, la pensée d’un prédicament à l’autre, d’un « genre d’être » à un tout différent. Conscients du système, essayons de nous en déprendre pour mieux comprendre, pour rejoindre ce que la pensée de l’auteur a pu comporter de signification existentielle, au moment où l’imparfait grec venait sur ses tablettes prendre la place, dans son esprit, de l’imparfait araméen [1].

« Au commencement est le Logos ». Voilà ce qu’il y a au Principe. Certes, il « était » hier, il sera demain, comme nous disons, en conjuguant et liant aux « temps », ce qui surpasse leur durée, ce qui « est » (à) leur Principe, (à) leur Début, (à) l’Origine de tout. Ce « Logos » continue d’exister, pense l’auteur : et voilà donc le verbe à l’imparfait sémite. La même forme verbale marquera qu’il ne cesse d’être face à Dieu, d’être Dieu, d’être vie, pour ce qui, à travers Lui, vient à l’être (devient). Non plus que la vie, dont nous savons désormais le Nom, ce Logos ne cesse d’être la lumière de l’Humanité.

Partout le verbe « être » se trouve à l’imparfait. Mais ce serait, croyons-nous, une aberration que d’y calquer l’imparfait français, avec le sens qu’il a chez nous d’un passé net, tranché. L’histoire qu’on nous raconte, en ce prologue, ne concerne pas un événement classé, un événement d’hier. Certes, on remonte au « principe » et donc en un sens au début, mais à un début qui signifie la tête. Ce principe, l’Arche, est justement ce que toute la sagesse de l’hellénisme, à Éphèse notamment où elle n’est point ruinée, s’évertue à saisir, et qu’elle a cru trouver jadis dans l’eau, l’air, le feu, etc... Cet élément « primordial » que dans la Nature cherchaient les « Physiciens », Jean nous dit d’un coup : c’est le logos. Parole et pensée, voilà pour des Grecs, un logos ; mais traduisant l’hébreu « dabar » dans la Bible des Septante, le « logos » est encore un fait, une réalité, avant d’être un récit. Bref, de tous les étages de signification possibles, il n’en faut écarter aucun, dès là qu’ils sont usuels : parole-pensée-fait réel. « Arche » signifiera donc aussi bien le « principe primordial » que le « début historique ». Et « Logos » de même, n’est pas seulement une parole, une pensée, mais un acte, un fait, - disons (au moins cela), un acte d’être, encore que l’imparfait sémite suffise à écarter pour le moment l’idée d’un Dieu identifié à l’Acte Pur ou Achevé, - étrangère encore à cette mentalité.

« En premier, donc, existe le Logos » : telle est l’affirmation capitale. La seconde affirmation (2) n’est pas moins lourde de sens. En disant : « le Logos est face-à Dieu », elle n’identifie pas encore l’un et l’autre, à strictement parler ; elle les met en relation, vis-à-vis. La troisième, en réunissant les deux précédentes, achève d’étonner car elle identifie : « il est Dieu le Logos ». La quatrième proposition rassemble alors le tout, en maintenant le paradoxe d’une distinction relative « ce dernier est, au Principe, face-à Dieu ». Il ne suffirait donc point de traduire comme le fait la Bible de Jérusalem « le Verbe était avec Dieu ». La préposition pros axe sur Dieu, oriente ce Logos, qui est au Principe, face à Dieu : exactement comme feront au verset 18 eis et l’accusatif de mouvement, avec le même verbe « être », (cette fois au participe présent), pour dire « celui-qui-est au sein du Père ». « Avec » est statique. Or le dynamisme d’une relation est incorporé au texte johannique. Il convient de le traduire, car il importe.

Lorsque l’auteur continue : « Toutes choses viennent à l’être à travers lui, et hors de lui n’apparaît rien », il montre assez par le choix du verbe « devenir » qu’un autre plan s’institue, un plan de réalités qui sont sous l’emprise du primordial Principe. Le second membre redit alors sous forme négative l’affirmation de ce fait : car il faut insister, le cosmos en évolution ne tient à l’être que « par » et « à travers » le Logos (dia). Il le redit donc et donne plus de force à l’affirmation par le jeu d’une opposition, entre « tout » et « rien », aux deux extrémités du distique. Effectivement, ce Logos Divin est la vie de tout ce qui s’est jamais produit. Car la vie en Lui existe, et elle est essentiellement la lumière de l’humanité.

Aux lignes 9 et 10, on a successivement un présent et un aoriste. Un présent d’abord, pour exprimer une simple constatation, loi générale et fait d’expérience : à savoir, que la lumière brille dans les ténèbres ; on ne l’allume que pour les repousser. Puis un aoriste historique : par où l’auteur se prépare à regagner, après ce prélude métempirique, le terrain des événements, et annoncer la venue de Jean : « Parut un homme... ». Historiquement donc, c’est un fait, les ténèbres ne réussirent point à étouffer la lumière : les hommes, dans leur vie, ont ce moyen de vaincre la nuit, ils allument des lampes.

Or précisément, voici la clef de ce symbole, le mystère de cette histoire : un homme est venu témoigner en faveur de la lumière, et nous désigner la vraie. Il n’est point, lui, la Lumière : il l’affirme ; la lumière authentique est le Logos dont il était question, au principe de tout, et qui est face-à Dieu, qui est Dieu lui-même. Car ce Logos historiquement est apparu, il devint chair. On a vu sa gloire. Sans cesser d’être « axé sur le sein du Père », il en a dévoilé, en « devenant » parmi nous, les secrets, rempli qu’il est de grâce et de vérité. « De sa plénitude nous avons tous reçu ».

En vérité, oui tous, s’il est vrai que ce Logos est Principe de tout, - comme la Foi l’admet (en tenant cet évangile pour parole de Dieu), et comme la Philosophie incline à le concevoir, encore qu’il faille bien mesurer le caractère étonnant de la toute première affirmation johannique aux yeux de la pensée pure. Là où on attendrait au principe, « Dieu », Seul et Unique, c’est le Logos qui s’y trouve ; et Face-à-Dieu ; et quand même identique à Lui.

En contrepoint à la Genèse, - ce premier récit des commencements, - voilà donc une sorte de Prélude métaphysique en tête de l’Évangile, pour son Prologue. [2] Mise en place grandiose de la scène où va se dérouler le Drame. Annonce et cadre d’un conflit, dont les protagonistes sont dès l’abord clairement désignées : Dieu, Son Logos monogène, le cosmos, et toutes choses venues par ce Logos à l’existence historique ; la vie, la lumière et les ténèbres hostiles. Ouverture quasi-ontologique à la destinée, sans quoi l’Évangile historique manque d’une dimension capitale, lorsque l’événement se produit, et que « parait un homme », un précurseur, sur la scène. L’entrée de ce personnage fait présager celle du Messie. Sans doute leur Mission n’est accessible qu’à la Foi, cette lumière, aux prises désormais avec ce qui reste tout autour d’obscur, de profondément obscur. Mais le grandiose Prologue est ce Proscénium, où l’être du Logos se « relate » le devenir du monde : un plateau, un « praeambulum », où la Pensée - stupéfaite, mais non point défaite, admirative au contraire, - ne peut manquer de s’interroger sur ce qui va se passer en fait, non plus en droit... Et de réfléchir aux événements.

Avant Jean d’Éphèse, Paul de Tarse avait précisé, de ce Logos identifié à Jésus, qu’il « est l’image du Dieu invisible » (Col. 1, 15), qu’ainsi il le reflète côté inonde, parce qu’il est bien face à lui, au commencement, dans le Principe. « Tout a été créé par lui et pour lui, il est avant toutes-choses, et toutes-choses subsistent en lui... C’est lui qui est principe (Arche) » (Col. 1, 16-18).

Grandiose réponse à une éternelle question métaphysique ! Les exégètes catholiques - crainte du syncrétisme et maintes fois défiance de la philosophie - ont plutôt tendance à accentuer la distance qui sépare de l’évangéliste Jean, le païen Héraclite. Il y a une différence, en effet considérable, mais aussi, quelle étonnante préparation de la pensée humaine à l’insufflation chrétienne ! Les textes héraclitéens relatifs au logos permettront à chacun d’en juger sur pièces. On y verra que le terme logos y connaît déjà cette amplitude de sens qui l’habilite à désigner le propos le plus banal aussi bien que la réalité mystérieuse dont la méconnaissance compromet toute sagesse, parce que les hommes sont avec ce Logos « en perpétuel contact ».

Fragments d’Héraclite d’Éphèse sur le « Logos »

« Ce logos, avec qui ils sont dans le plus continuel contact, qui régit toutes choses, ils s’en séparent, et ce sont les choses qu’ils rencontrent tous les jours qui leur paraissent étrangères » (fr. 72).
 
« Quant à ce logos qui est éternellement, les hommes sont éternellement incapables de le comprendre, aussi bien avant d’en avoir entendu parler, qu’après en avoir entendu parler pour la première fois. Alors que tout arrive conformément à ce logos, ils ressemblent à des gens sans expérience, quand ils s’exercent à des paroles et à des actes pareils à ceux que moi j’expose, distinguant chaque chose suivant sa nature et expliquant ce qu’il en est » (fr. 1).
 
« Aussi faut-il suivre ce qui est commun. Le logos est commun, et pourtant la multitude vit comme si chacun avait sa propre intelligence » (fr. 2)
 
« Il est dans les moeurs d’un sot de s’extasier à tout logos » (fr. 87).
 
« Propre à l’âme est le logos qui s’augmente lui-même » (fr. 115).
 
« Penser juste est la plus haute vertu, et la sagesse consiste à dire des choses vraies et à agir selon la nature en écoutant sa voix » (fr. 112).

[1] Les traductions ne tiennent pas assez compte de ce fait. On en trouve d’autres exemples au fil du texte ; ainsi, Jn II, 42 : « Je sais bien que tu m’exauces toujours (et non pas « je savais bien », Bible de J.) mais c’est pour tous ces hommes qui m’entourent que je parle. » Le présent grec que saint Jean emploie aussi pour ce verbe « connaître », signifierait plutôt « j’ai appris, je sais » tandis que l’imparfait indique qu’on savait et qu’on continue d’éprouver.

[2] Au plan de la pensée, à vrai dire, pro-logue ou épi-logue ne signifie qu’une position ici indifférente. C’est du Logos, tout simplement qu’il s’agit, à la verticale du mouvement dont il prend la « tête ». Bereshit dit la Genèse ; en arche, dit l’Évangile johannique, pour signifier que cette tête (rosh, disait tout à l’heure Isaïe) est à comprendre comme un principe, à la façon des Grecs, source d’actualité, élément dernier et premier de toute existence, épilogue autant que prologue. Si bien qu’on peut dire avec la même vérité : à la Fin, il y a le Logos.

La parole, le verbe - en français -, se contredistingue du fait. Logos, dans la bouche d’un sémite surtout, l’englobe. Au principe, il y a donc ce fait qu’on n’exprime point, qu’on désigne seulement : Logos par excellence.

Une lecture à plat reporte à tort les choses « au commencement » (cf. traductions courantes). Une lecture littérale, attentive aux dimensions profondes que le texte s’évertue à suggérer, montre l’histoire enveloppée dans ce qui la dépasse. Le Logos s’étend, du fait qu’il est (en) Tête, au passé comme à l’avenir. Dans son Présent Indéfini, il ne a commence » pas les choses ; il les englobe en les saisissant d’existence. (On songe malgré soi à l’Umgreifendes de Jaspers.)



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