Les Cahiers d’Hermès II

Martinez de Pasqually (Hermès) - Traité de la réintegration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles et divines (Extraits)

Rolland de Renéville (dir.). La Colombe, 1947
vendredi 18 novembre 2022.
 
Les Cahiers d’Hermès II. Dir. Rolland de Renéville. La Colombe, 1947.

Avant le temps, Dieu émana des êtres spirituels, pour sa propre gloire, dans son immensité divine. Ces êtres avaient à exercer un culte que la Divinité leur avait fixé par des lois, des préceptes et des commandements éternels. Ils étaient donc libres et distincts du Créateur ; et l’on ne peut leur refuser le libre arbitre avec lequel ils ont été émanés sans détruire en eux la faculté, la propriété, la vertu spirituelle et personnelle qui leur étaient nécessaires pour opérer avec précision dans les bornes où ils devaient exercer leur puissance. C’était positivement dans ces bornes que ces premiers êtres spirituels devaient rendre le culte pour lequel ils avaient été émanés. Ces premiers êtres ne peuvent nier ni ignorer les conventions que le Créateur avait faites avec eux en leur donnant des lois, des préceptes, des commandements, puisque c’était sur ces conventions seules qu’était fondée leur émanation.

On demandera ce qu’étaient ces premiers êtres avant leur émanation divine, s’ils existaient ou s’ils n’existaient pas ? Ils existaient dans le sein de la Divinité, mais sans distinction d’action, de pensée et d’entendement particulier, ils ne pouvaient agir ni sentir que par la seule volonté de l’être supérieur qui les contenait et dans lequel tout était mû ; ce qui, véritablement, ne peut pas se dire exister ; cependant cette existence en Dieu est d’une nécessité absolue ; c’est elle qui constitue l’immensité de la puissance divine. Dieu ne serait pas le père et le maître de toutes choses s’il n’avait innée en lui une source inépuisable d’êtres qu’il émane par sa pure volonté et quand il lui plaît. C’est par cette multitude infinie d’émanations d’êtres spirituels hors de lui-même qu’il porte le nom de Créateur, et ses ouvrages, celui de la création divine, spirituelle et animale, spirituelle et temporelle.

Les premiers esprits émanés du sein de la Divinité étaient distingués entre eux par leurs vertus, leurs puissances et leurs noms. Ils occupaient l’immense circonférence divine, appelée vulgairement Domination, et qui porte son nombre denaire selon la figure suivante Ф, et c’est là que tout esprit supérieur 10, majeur 8, inférieur et mineur 4, devait agir et opérer pour la plus grande gloire du Créateur. Leur démonstration ou leur nombre prouve que leur émanation vient réellement de la quatriple essence divine. Les noms de ces quatre classes d’esprits étaient plus forts que ceux que nous donnons vulgairement aux Chérubins, Séraphins, Archanges et Anges, qui n’ont été émancipés que depuis. De plus, ces quatre premiers principes d’êtres spirituels avaient en eux, comme nous l’avons dit, une partie de la domination divine : une puissance supérieure, majeure, inférieure et mineure, par laquelle ils connaissaient tout ce qui pouvait exister, ou être renfermé dans les êtres spirituels qui n’étaient pas encore sortis du sein de la Divinité.

Comment, dira-t-on, pouvaient-ils avoir connaissance des choses qui n’existaient pas encore distinctement et hors du sein du Créateur ? Parce que ces premiers chefs émanés au premier cercle, nommé mystérieusement cercle denaire, lisaient clairement et- avec certitude ce qui se passait dans la Divinité, ainsi que tout ce qui était contenu en elle-même. Il ne doit point y avoir de doute sur ce que je dis ici, étant bien convaincu qu’il n’appartient qu’à l’esprit de lire, de voir et de concevoir l’esprit. Ces premiers chefs avaient une connaissance parfaite de toute action divine, puisqu’ils n’avaient été émanés du sein du Créateur que pour être moins face à face de toutes les opérations divines de la manifestation de sa gloire.

Ces chefs spirituels divins ont-ils conservé leur premier état de vertu et puissance divine après leur prévarication ? Oui, ils l’ont conservé par l’immutabilité des décrets de l’Eternel, car si le Créateur avait retiré toutes les vertus et puissances qu’il a mises réversibles sur les premiers esprits, il n’y aurait plus eu d’action de vie bonne ou mauvaise, ni aucune manifestation de gloire, de justice et de puissance divine sur ces esprits prévaricateurs. On me dira que le Créateur devait bien prévoir que ces premiers esprits émanés prévariqueraient contre les lois, préceptes et commandements qu’il leur avait donnés, et qu’alors c’était à lui de les contenir dans la justice. Je répondrai à cela que, quand même le Créateur aurait prévu l’orgueilleuse ambition de ces esprits, il ne pouvait, d’aucune façon, contenir et arrêter leurs pensées criminelles sans les priver de leur action particulière et innée en eux, ayant été émanés pour agir selon leur volonté, et comme cause seconde spirituelle selon le plan que le Créateur leur avait tracé. Le Créateur ne prend aucune part aux causes secondes spirituelles bonnes et mauvaises, ayant lui-même appuyé et fondé tout être spirituel sur des lois immuables ; par ce moyen, tout être spirituel est libre d’agir selon sa volonté et sa détermination particulière, ainsi que le Créateur l’a dit lui-même à sa créature ; et nous en voyons tous les jours la confirmation sous nos yeux.

Si l’on demande quel est le genre de prévarication de ces esprits, pour que le Créateur ait usé de force de loi divine contre eux, je répondrai que ces esprits n’étaient émanés que pour agir comme causes secondes, et nullement pour exercer leur puissance sur les causes premières ou l’action même de la Divinité ; puisqu’ils n’étaient que des agents secondaires, ils ne devaient être jaloux que de leur puissance, vertu et opérations secondes, et non point s’occuper à prévenir la pensée du Créateur dans toutes ses opérations divines, tant passées que présentes et futures. Leur crime fut, premièrement, d’avoir voulu condamner l’éternité divine dans ses opérations de création ; secondement, d’avoir voulu borner la Toute-Puissance divine dans ces mêmes opérations ; troisièmement, d’avoir porté leur pensée spirituelle jusqu’à vouloir être Créateurs des causes troisièmes et quatrièmes, qu’ils savaient être innées dans la Toute-Puissance du Créateur, que nous appelons quatriple essence divine.

Comment pouvaient-ils condamner l’éternité divine ?

C’est en voulant donner à l’Eternel une émanation égale à la leur, ne regardant le Créateur que comme un être semblable à eux ; et qu’en conséquence il devait naître d’eux des créatures spirituelles qui dépendraient immédiatement d’eux-mêmes, ainsi qu’ils dépendaient de celui qui les avait émanés. Voilà ce que nous appelons le principe du mal spirituel, étant certain que toute mauvaise volonté conçue par l’esprit est toujours criminelle devant le Créateur, quand bien même l’esprit ne la réaliserait pas en action effective. C’est en punition de cette simple volonté criminelle que les esprits ont été précipités par la seule puissance du Créateur dans des lieux de sujétion, de privation et de misère impure et contraire à leur être spirituel qui était pur et simple par leur émanation, ce qui va être expliqué.

Ces premiers esprits ayant conçu leur pensée criminelle, le Créateur fit force de loi sur son immutabilité en créant cet univers physique, en apparence de forme matérielle, pour être le lieu fixe où ces esprits pervers avaient à agir, à exercer en privation toute leur malice. Il ne faut point comprendre dans cette création matérielle l’homme ou le mineur qui est aujourd’hui au centre de la surface terrestre ; parce que l’homme ne devait faire usage d’aucune forme de cette matière apparente, n’ayant été émané et émancipé par le Créateur que pour dominer sur tous les êtres émanés et émancipés avant lui. L’homme ne fut émané qu’après que cet univers fût formé par la Toute-Puissance divine pour être l’asile des premiers esprits pervers et la borne de leurs opérations mauvaises, qui ne prévaudront jamais contre les lois d’ordre que le Créateur a données à sa création universelle. Il avait les mêmes vertus et puissances que les premiers esprits ; et quoiqu’il ne fût émané qu’après eux, il devint leur supérieur et leur aîné par son état de gloire et la force du commandement qu’il reçut du Créateur. Il connaissait parfaitement la nécessité de la création universelle ; il connaissait de plus l’utilité et la sainteté de sa propre émanation spirituelle, ainsi que la forme glorieuse dont il était revêtu pour agir dans toutes ses volontés sur les formes corporelles actives et passives. C’était dans cet état qu’il devait manifester toute sa puissance pour la plus grande gloire du Créateur en face de la création universelle, générale et particulière.

Nous distinguons ici l’univers en trois parties, pour le faire concevoir à nos émules avec toutes ses facultés d’actions spirituelles : 1° l’univers, qui est une circonférence dans laquelle sont contenus le général et le particulier ; 2° la terre ou la partie générale de laquelle émanent tous les aliments nécessaires à substantier le particulier ; 3° le particulier, qui est composé de tous les habitants des corps célestes et terrestres. Voilà la division que nous ferons de la création universelle, pour que nos émules puissent connaître et opérer avec distinction et connaissance de cause dans chacune de ces trois parties.

Adam, dans son premier état de gloire, était le véritable émule du Créateur. Comme pur esprit, il lisait à découvert les pensées et les opérations divines. Le Créateur lui fit concevoir les trois principes qui composaient l’univers ; et, pour cet effet, il lui dit : « Commande à tous les animaux actifs et passifs, et ils obéiront. » Adam exécuta ce que le Créateur lui avait dit ; il vit par là que sa puissance était grande, et il apprit à connaître avec certitude une partie du tout composant l’univers. Cette partie est ce que nous nommons le particulier, composé de tout être actif et passif habitant depuis la surface terrestre et son centre jusqu’au centre céleste appelé mystérieusement ciel de Saturne.

Après cette opération, le Créateur dit à sa créature : « Commande au général ou à la terre ; elle t’obéira. » Ce que fit Adam. Il vit par là que sa puissance était grande et il connut avec certitude le second tout composant l’univers. Après ces deux opérations, le Créateur dit à sa créature : « Commande à tout, à l’univers créé, et tous ses habitants t’obéiront. » Adam exécuta encore la parole de l’Eternel ; et ce fut par cette troisième opération qu’il apprit à connaître la création universelle.

Adam, ayant ainsi opéré et manifesté sa volonté au gré du Créateur, reçut de lui le nom auguste d’Homme-Dieu de la terre universelle, parce qu’il devait sortir de lui une postérité de Dieu et non une postérité charnelle. Il faut observer qu’à la première opération Adam reçut la loi ; à la deuxième, il reçut le précepte, et, à la troisième, le commandement. Par ces trois sortes d’opérations nous devons voir clairement, non seulement quelles étaient les bornes de la puissance, vertu et force que le Créateur avait données à sa créature, mais encore celles qu’il avait prescrites aux premiers esprits pervers.

Le Créateur, ayant vu sa créature satisfaite de la vertu, force et puissance innées en elle, et par lesquelles elle pouvait agir à sa volonté, l’abandonna à son libre arbitre, l’ayant émancipée d’une manière distincte de son immensité divine avec cette liberté, afin que sa créature eût la jouissance particulière et personnelle, présente et future, pour une éternité impassive, pourvu toutefois qu’elle se conduisît selon la volonté du Créateur.

Adam étant livré à son libre arbitre, réfléchit sur la grande puissance manifestée par ses trois premières opérations. Il envisagea son travail comme étant presque aussi grand que celui du Créateur ; mais, ne pouvant de son chef approfondir parfaitement ces trois premières opérations ni celles du Créateur, le trouble commença à s’emparer de lui au milieu de ses réflexions sur la toute-puissance divine, dans laquelle il ne pouvait lire qu’avec le consentement du Créateur, selon qu’il lui avait été enseigné par les ordres que le Créateur lui avait donnés lui-même d’exercer ses pouvoirs sur tout ce qui était à sa domination, avant de le laisser libre de ses volontés. Les réflexions d’Adam, ainsi que la pensée qu’il avait eue de lire dans la puissance divine, ne tardèrent pas d’un instant d’être connues des premiers esprits pervers que nous nommons mauvais démons, puisque, dès qu’il eut conçu cette pensée, un des principaux esprits pervers apparut à lui sous la forme apparente de corps de gloire, et, s’étant approché d’Adam, il lui dit : « Que désires-tu connaître de plus du tout-puissant Créateur ? Ne t’a-t-il pas égalé à lui par la vertu et la toute-puissance qu’il a mises en toi ? Agis selon ta volonté innée en toi, et opère en qualité d’être libre, soit sur la divinité, soit sur toute la création universelle qui est soumise à ton commandement. Tu te convaincras pour lors que ta toute-puissance ne diffère en rien de celle du Créateur. Tu apprendras à connaître que tu es non seulement créateur de puissance particulière, mais encore créateur de puissance universelle ainsi qu’il t’a été dit qu’il devait naître en toi une postérité de Dieu. C’est du Créateur que je tiens ces choses, et c’est par lui et en son nom que je te parle. »

A ce discours de l’esprit démoniaque, Adam resta comme dans l’inaction, et sentit naître en lui un trouble violent, d’où il tomba dans l’extase. C’est dans cet état que l’esprit malin lui insinua sa puissance démoniaque ; et Adam, revenu de son extase spirituelle animale, mais ayant retenu une impression mauvaise du démon, résolut d’opérer la science démoniaque préférablement à la science divine que le Créateur lui avait donnée pour assujettir tout être inférieur à lui. Il rejeta entièrement sa propre pensée spirituelle divine, pour ne faire usage que de celle que l’esprit malin lui avait suggérée.

Adam opéra donc la pensée démoniaque en faisant une quatrième opération dans laquelle il usa de toutes les paroles puissantes que le Créateur lui avait transmises pour ses trois premières opérations, quoiqu’il eût entièrement rejeté le cérémonial de ces mêmes opérations. Il fit usage par préférence du cérémonial que le démon lui avait enseigné ainsi que du plan qu’il en avait reçu pour attaquer l’immutabilité du Créateur.

Adam répéta ce que les premiers esprits pervers avaient conçu d’opérer pour devenir créateurs au préjudice des lois que l’Eternel leur avait prescrites pour leur servir de bornes dans leurs opérations spirituelles divines. Ces premiers esprits ne devaient rien concevoir ni entendre en matière de création, n’étant que créature de puissance. Adam ne devait pas plus aspirer qu’eux à cette ambition de création d’êtres spirituels qui lui fut suggérée par le démon.

Nous avons vu qu’à peine ces démons ou esprits pervers eurent conçu d’opérer leur volonté d’émanation semblable à celle qu’avait opérée le Créateur, ils furent précipités dans des lieux de ténèbres pour une durée immense de temps, par la volonté immuable du Créateur. Cette chute et ce châtiment nous prouvent que le Créateur ne= saurait ignorer la pensée et la volonté de sa créature ; cette pensée et cette volonté, bonnes ou mauvaises, vont se faire entendre directement au Créateur qui les reçoit ou les rejette. On aurait donc tort de dire que le mal vient du Créateur, sous prétexte que tout émane de lui. Du créateur est sorti tout être spirituel, bon, saint et parfait ; aucun mal n’est et ne peut être émané de lui. Mais que l’on demande d’où est donc émané le mal ? Je dirai que le mal est enfanté par l’esprit et non créé ; la création appartient au Créateur et non à la créature ; les pensées mauvaises sont enfantées par l’esprit mauvais, comme les pensées bonnes sont enfantées par l’esprit bon ; c’est à l’homme à rejeter les unes et à recevoir les autres, selon son libre arbitre qui lui donne droit de prétendre aux récompenses de ses bonnes œuvres, mais qui peut aussi le faire rester pour un temps infini dans la privation de son droit spirituel.


Revenons à la prévarication d’Adam. Si vous connaissiez le genre de prévarication d’Adam et le fruit qu’il en reçut, vous ne regarderiez plus comme injuste la peine que le Créateur a mise sur nous en naissant et qu’il a rendue réversible sur notre postérité jusqu’à la fin des siècles. Adam fut émané le dernier de toute créature quelconque ; il fut placé au centre de la création universelle, générale et particulière ; il était revêtu d’une puissance supérieure à celle de tout être émané, relativement à l’emploi auquel le Créateur le destinait : les anges mêmes étaient soumis à sa grande vertu et à ses pouvoirs. C’est en réfléchissant sur un état si glorieux qu’Adam conçut et opéra sa mauvaise volonté au centre de sa première couche glorieuse que l’on nomme vulgairement : paradis terrestre, et que nous appelons mystérieusement : terre élevée au-dessus de tout sens. Cet emplacement est ainsi nommé par les amis de la sagesse, parce que ce fut dans ce lieu connu sous le nom de Moria, que le temple de Salomon a été construit depuis. La construction de ce temple figurait réellement l’émanation du premier homme. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à observer que le temple de Salomon fut construit sans le secours d’outils composés de métaux ; ce qui faisait voir à tous les hommes que le Créateur avait formé le premier homme sans le secours d’aucune opération physique matérielle.

Cette couche spirituelle, dans laquelle le Créateur plaça son premier mineur, fut figurée par 6 et une circonférence. Par les six cercles, le Créateur représentait au premier homme les six immenses pensées qu’il avait employées pour la création de son temple universel et particulier. Le septième, joint aux six autres, annonçait à l’homme la jonction que l’esprit du Créateur faisait avec lui pour être sa force et son appui. Mais, malgré les précautions puissantes que le Créateur employa pour prévenir et soutenir l’homme contre ses ennemis, cet homme ne laissa pas d’agir selon sa propre volonté, par laquelle il se détermina à opérer une œuvre impure.

Adam avait en lui un acte de création de postérité de forme spirituelle, c’est-à-dire de forme glorieuse, semblable à celle qu’il avait avant sa prévarication : forme impassive et d’une nature supérieure à celles de toutes les formes élémentaires. Adam aurait eu toute la gloire de ces sortes de créations : la volonté du premier homme ayant été celle du Créateur, à peine la pensée de l’homme aurait-elle opéré que la pensée spirituelle divine aurait également agi en remplissant immédiatement le fruit de l’opération du mineur par un être aussi parfait que lui. Dieu et l’homme n’auraient fait tous les deux qu’une seule opération ; et c’était dans ce grand œuvre qu’Adam se serait vu renaître avec une grande satisfaction, puisqu’il aurait été réellement le Créateur d’une postérité de Dieu. Mais, loin d’accomplir les desseins du Créateur, le premier homme se laissa séduire par les insinuations de ses ennemis et par le faux plan d’opération apparente divine qu’ils lui tracèrent. Ces esprits démoniaques lui dirent : « Adam, tu as inné en toi le verbe de création en tous genres ; tu es possesseur de toutes valeurs, poids, nombres et mesures. Pourquoi n’opères-tu pas la puissance de création divine qui est innée en toi ? Nous n’ignorons pas que tout être créé ne te soit soumis : opère donc des créatures, puisque tu es créateur. Opère devant ceux qui sont hors de toi : ils rendront tous justice à la gloire qui t’est due. »

Adam, rempli d’orgueil, traça six circonférences en similitude de celles du Créateur, c’est-à-dire qu’il opéra les six actes de pensées spirituelles qu’il avait en son pouvoir pour coopérer à sa volonté de création. Il exécuta physiquement et en présence de l’esprit séducteur sa criminelle opération. Il s’était attendu à avoir le même succès que le Créateur éternel, mais il fut extrêmement surpris ainsi que le démon, lorsqu’au lieu d’une forme glorieuse, il ne retira de son opération qu’une forme ténébreuse et tout opposée à la sienne. Il ne créa, en effet, qu’une forme de matière, au lieu d’en créer une pure et glorieuse telle qu’il était en son pouvoir. Que devint donc Adam après son opération ? Il réfléchit sur le fruit inique qui en était résulté, et il vit qu’il avait opéré la création de sa propre prison, qui le resserrait plus étroitement, lui et sa postérité, dans des bornes ténébreuses et dans la privation spirituelle divine jusqu’à la fin des siècles. Cette privation n’était autre chose que le changement de forme glorieuse en forme matérielle et passive. La forme corporelle qu’Adam créa n’était point réellement la sienne, mais c’en était une semblable à celle qu’il devait prendre après sa prévarication. On me demandera peut-être si la forme corporelle glorieuse dans laquelle Adam fut placé par le Créateur était semblable à celle que nous avons à présent ? Je répondrai qu’elle ne différait en rien de celle qu’ont les hommes aujourd’hui. Tout ce qui les distingue, c’est que la première était pure et inaltérable, au lieu que celle que nous avons présentement est passive et sujette à la corruption. C’est pour s’être souillé par une création si impure que le Créateur s’irrita contre l’homme. Mais, dira-t-on, à quel usage a donc servi à Adam cette forme de matière qu’il avait créée ? Elle lui a servi à faire naître de lui une postérité d’hommes, en ce que le premier mineur Adam par sa création de forme passive matérielle a dégradé sa propre forme impassive, de laquelle devaient émaner des formes glorieuses comme la sienne, pour servir de demeures aux mineurs spirituels que le Créateur y aurait envoyés. Cette postérité de Dieu aurait été sans bornes et sans fin ; l’opération spirituelle du premier mineur aurait été celle du Créateur ; ces deux volontés de création n’auraient été qu’une en deux substances. Mais pourquoi le Créateur a-t-il laissé subsister le fruit provenu de la prévarication d’Adam, et pourquoi ne l’a-t-il pas anéanti lorsqu’il a maudit le premier homme et toute la terre ? Le Créateur laissa subsister l’ouvrage impur du mineur pour qu’il fût molesté de génération en génération, pour un temps immémorial, ayant toujours devant les yeux l’horreur de son crime. Le Créateur n’a pas permis que le crime du premier homme s’effaçât de dessous les deux, afin que sa postérité ne pût prétendre cause d’ignorance de sa prévarication, et qu’elle apprît par là que les peines et les misères qu’elle endure et endurera jusqu’à la fin des siècles, ne viennent point du Créateur, mais de notre premier père, créateur de matière impure et passive. (Je ne me sers ici de ce mot matière impure que parce qu’Adam a opéré cette forme contre la volonté du Créateur.)

Si l’on demandait encore comment s’est fait le changement de la forme glorieuse d’Adam dans une forme de matière, et si le Créateur donna lui-même à Adam la forme de matière qu’il prit aussitôt après sa prévarication, je répondrai qu’à peine eut-il accompli sa volonté criminelle que le Créateur, par sa toute-puissance, transmua aussitôt la forme glorieuse du premier homme en une forme de matière passive semblable à celle qui était provenue de son opération criminelle. Le Créateur transmua cette forme glorieuse en précipitant l’homme dans les abîmes de la terre d’où il avait sorti le fruit de sa prévarication. L’homme vint ensuite habiter sur la terre comme le reste des animaux ; au lieu qu’avant son crime il régnait sur cette même terre comme Homme-Dieu, et sans être confondu avec elle ni avec ses habitants.


... Je vous ai appris le genre de cette prévarication avec la même certitude qu’il m’a été enseigné par un de mes fidèles amis, chéri de la Vérité et protégé par la Sagesse. Vous avez vu que ce premier homme, Dieu de toute la terre, fit réellement une opération terrible en créant une forme de matière à son image et à sa ressemblance de forme corporelle glorieuse. J’ai fait entendre que cette forme qu’Adam créa n’était point une forme glorieuse ; qu’elle ne pouvait être qu’une forme de matière apparente et même très imparfaite, puisqu’elle était le fruit de l’opération d’une volonté mauvaise. Cette opération, en effet, ne pouvait être que punie du Créateur, Adam ayant injustement abusé de sa puissance. Cependant l’Eternel, ayant promis avec serment à Adam qu’il agirait avec lui dans toutes les opérations qu’il ferait en son nom, ne put s’empêcher d’accomplir la promesse immuable qu’il lui avait faite de le seconder dans toutes les circonstances où il en aurait besoin. C’est de cette promesse qu’Adam est parti pour manifester la puissance qui était innée en lui envers tout être spirituel. Il rappela au Créateur cette promesse immuable qu’il lui avait faite de venir couronner ses œuvres. Il lui fit commandement, par son immutabilité divine, qu’il eût à remplir la parole verbale qu’il lui avait prononcée par sa propre et pure volonté du Créateur en faveur de sa création de forme matérielle. Dieu, étant pris par Adam par la force de son serment et de son immutabilité, joignit, selon sa promesse, son opération spirituelle à l’opération temporelle d’Adam quoique contraire à sa volonté. Le Créateur agit avec Adam ainsi qu’il le désirait, et lui accorda Je couronnement de son ouvrage en renfermant dans la forme de matière créée par Adam un être mineur que le malheureux Adam a assujetti dans une affreuse prison de ténèbres ; et qu’il a rendu par ce1 moyen susceptible d’être pensif et pensant en le précipitant dans une privation éternelle ou limitée.

Le mot pensif vient d’une jonction intellectuelle mauvaise à l’être mineur qui, par sa nature d’être spirituel divin, était émané être pensant, entièrement dans l’immensité du Créateur...


... Dans les premiers temps de la postérité du premier homme, Héli, que nous appelons Christ et que nous reconnaissons avec certitude pour un être pensant, réconcilia Adam avec la création. Enoch réconcilia la première postérité d’Adam sous la postérité de Seth. Noé réconcilia la seconde postérité d’Adam, en réconciliant la sienne avec le Créateur, et ensuite réconcilia la terre avec Dieu. Melchissédec confirma ces trois premières réconciliations en bénissant les œuvres d’Abraham et ses trois cents serviteurs. Cette bénédiction est une répétition de celle que Dieu donna aux trois enfants de Noé, savoir : Sem, Cam et Japhet. Abraham et ses trois cents serviteurs forment le nombre parfait quatre et rappellent le même nombre quaternaire qu’avait formé Noé avec ses trois enfants.

C’est par le nombre huitenaire, qui résulte de la jonction de ces deux nombres quaternaires, que nous apprenons que toutes les réconciliations et confirmations dont nous venons de parler ont été faites directement par le Christ. Car, quoiqu’elles aient été opérées par l’assistance des mineurs émanés pour cette fin, ces mineurs, cependant, n’ont été que des figures apparentes dont le Christ s’est servi pour manifester la gloire et la miséricorde du Créateur en faveur des réconciliés. Nous connaissons avec certitude que le nombre huit est inné de double puissance donnée par le Créateur au Christ ; et c’est lui qui nous apprend que le Messias a opéré toutes choses en faveur des hommes temporels de cette première et seconde postérité d’Adam. Nous regardons comme seconde postérité d’Adam la postérité de Seth, parce qu’elle s’est rendue susceptible de réconciliation, et nous n’y comprenons point celle de Cain, parce qu’elle est encore à être réconciliée et qu’elle paie encore tribut à la justice du Créateur. Nous devons le concevoir clairement par le type que nous figure la malédiction que Caïn reçut de son père Noé, après le repos de l’arche sur la terre. Son exil est demeuré fixé dans la partie du Midi : c’est ce signe immémorial aux hommes, de génération en génération, que la postérité de Caïn n’est point encore réintégrée spirituellement dans toutes ses puissances et vertus personnelles, quoiqu’elle ne soit plus permanente sur cette surface terrestre.

Je ne vous laisserai point ignorer que ce qui est survenu à Caïn avait été prophétisé par un signe sensible aux enfants de Noé, qui, toutefois, ne le comprirent pas. Ce signe était l’évasion du corbeau qui s’enfuit de l’arche avant que la terre fut découverte. Il dirigea son vol vers le Midi et ne revint plus reprendre sa place dans l’arche. Ceux mêmes qui étaient restés dans l’arche ne le revirent plus après qu’ils en furent sortis. Cette fuite du corbeau nous fait voir, par son type, qu’aucun fâcheux ou heureux événement n’arrive à l’homme sans qu’il ait pu le prévoir, et qu’il lui ait été annoncé de quelque façon que ce soit. Pourvu qu’il veuille réfléchir sur sa pensée, il verra bientôt le mal ou le bien qui lui en doit résulter, parce que l’intellect bon ne veut rien voir opérer sur la créature qu’il protège,sans lui faire entrevoir ce qui doit lui arriver de bien ou de mal.

Vous pourriez me demander pourquoi la première postérité d’Adam en Caïn n’est point encore réconciliée avec le Créateur ? Le Christ, me direz-vous, n’est-il point venu pour réconcilier les vivants et les morts avec le Créateur ? Dieu le Fils, par sa Passion et l’effusion de son sang, n’a-t-il pas ouvert les portes du royaume des cieux à tous ceux qui étaient morts en privation divine ? Ainsi cette postérité d’Adam en Caïn doit être comprise dans la réconciliation. Je répondrai à cela que le Christ n’a réconcilié avec Dieu le Père que ceux que l’opération spirituelle des justes avait marqués par le sceau. Ce sceau leur fut envoyé visiblement et sans aucun mystère sur l’emploi qu’ils devaient en faire en faveur de ceux qui devaient le recevoir pour être disposés à se fortifier de plus en plus dans la foi et dans la confiance en la miséricorde du Créateur, et afin de pouvoir soutenir avec une fermeté invincible toute la manifestation puissante de la justice divine qui pouvait s’opérer spirituellement devant eux par le Christ, chez tous les habitants de la terre, vivant en privation divine...


... Je vais entrer maintenant dans l’explication des types véritables que font tous les événements que j’ai rapportés. Adam, par sa postérité temporelle, fait la figure du Créateur ; et cette postérité d’Adam fait la figure des esprits que le Créateur avait émanés de lui pour sa plus grande gloire, et pour lui rendre un culte spirituel. Vous avez vu que ces esprits peuvent se considérer comme aînés à Adam, ayant été émanés avant lui. Vous savez aussi que ces esprits ayant prévariqué, l’Eternel les éloigna de sa présence, qu’il émana et qu’il émancipa de son immensité divine un être spirituel mineur pour les contenir en privation, et que ce mineur que nous nommons Adam et Réaux, n’était, par conséquent, que le second né spirituellement de ces premiers esprits, et qu’il sortait ainsi qu’eux du Père divin Créateur de toutes choses.

Je veux donc faire observer que Caïn, fils aîné d’Adam, est le type de ces premiers esprits émanés par le Créateur, et que son crime est le type de celui que ces premiers esprits ont commis contre l’Eternel. Abel, second né d’Adam, fait par son innocence et sa sainteté le type d’Adam émané après ces premiers esprits dans son premier état de justice et de gloire divines. Et la destruction du corps d’Abel, opérée par Caïn son frère aîné, est le type de l’opération que les premiers esprits firent pour détruire la forme de gloire dont le premier homme était revêtu, et le rendre par ce moyen susceptible d’être comme eux en privation divine. Voilà l’explication certaine du premier type que font Adam, Caïn et Abel, par les fâcheux événements qui leur sont survenus...


... Abraham releva son fils de dessus le bûcher et lui dit : « Souviens-toi, mon cher enfant, que le plus grand sacrifice que l’on puisse faire au Créateur, c’est la parole et l’intention. L’Eternel connaît parfaitement la bonne et la mauvaise conduite ainsi que les opérations du mineur spirituel. La pensée bonne du mineur fait connaître la gloire de l’Eternel, et la pensée mauvaise fait manifester sa justice sur les impies. » Isaac se tourna alors vers son père et lui dit : « Le Seigneur, convaincu de ta ferme résolution et de celle de ton fils, t’a élevé au plus grand degré de sa gloire et t’a élu père au-dessus de tout sens d’être matériel. Louons le Seigneur de ce qu’il a remis en grâce le père des multitudes de la terre, et de ce qu’il a aussi exaucé sa postérité. » Ils aperçurent ensuite un bélier qui sortit d’un buisson ; ils le prirent et l’offrirent en sacrifice pour accomplir leur opération. Ce fut alors qu’ils eurent une connaissance parfaite de la volonté du Créateur, touchant les différents cultes généraux et particuliers qu’eux et leur postérité avaient à opérer sur la terre, de même que les différentes sortes d’animaux qui devaient servir d’holocauste dans les différentes opérations du culte divin. Ce qui nous fait voir que le véritable culte du Créateur a toujours subsisté parmi les hommes.

Quoique le sacrifice d’Abraham soit la figure de celui qui a été fait sur la personne d’Abel, il y a cependant une grande différence, en ce qu’Abel a été véritablement immolé pour accomplir l’entière réconciliation de son père Adam, au lieu qu’Isaac ne fut immolé qu’en pensée et dans l’intention de son père Abraham. Cette pensée et cette intention furent suffisantes pour qu’Abraham fût parfaitement réconcilié avec le Créateur. Ceci ne doit point vous surprendre, attendu que le crime d’Adam, bien plus grand que celui d’Abraham, demandait une expiation considérable.



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