Jacques Masui - De la vie intérieure

Angelus Silesius - L’ascension vers Dieu

Trad. M. Brion
mardi 22 novembre 2022.
 
Le Voyageur chérubinique est l’une des perles de la poésie mystique, inspirée par le Chnstianisme. [Jacques Masui]

Je me plonge seul dans la mer incréée de la pure divinité.

Je suis moi-même l’éternité quand j’abandonne le temps et que je résume moi-même en Dieu, et Dieu en moi.

Je suis aussi riche que Dieu. Homme, crois-moi, il n’y a pas un atome que je ne partage avec Lui.

Celui qui ne désire rien, n’a rien, ne sait rien, n’aime rien ; celui-là sait, désire, possède, aime toujours davantage.

Halte ! Où cours-tu ? Le ciel est en toi.

Si tu cherches Dieu ailleurs, il te fera toujours défaut.

Celui qui est comme s’il n’était pas et comme s’il n’avait jamais été, celui-là - ô Béatitude ! - est vraiment devenu Dieu.

Je dois moi-même être Soleil, je dois avec mes rayons peindre la mer sans couleur de toute la divinité.

Pourquoi te plaindre de Dieu ? C’est toi-même qui te damnes ; Dieu ne pourrait pas le faire, crois-moi assurément.

Dieu n’est pas ici, ni là ; celui qui veut le trouver doit se laisser lier les mains, les pieds, le corps et l’âme.

Va là où tu ne peux aller, regarde là où tu ne vois pas, écoute ce qui ne retentit ni ne résonne. Tu es là où Dieu parle.

Dieu est ce qu’il est, je suis ce que je suis ; si tu connais bien les deux, tu connais moi et lui.

Dieu s’aime et se loue lui-même, autant qu’il le peut ; il s’agenouille, il s’incline, il se prie lui-même.

Dieu est tellement au-dessus de tout ce qu’on peut dire que c’est en te taisant que tu le pries le mieux.

L’amour est la pierre philosophale, elle sépare l’or de la boue, elle fait du Néant l’Étant.

Les créatures sont les voix du Verbe éternel ; il se joue et il chante dans la grâce et la colère.

Ce que connaît le Chérubin ne peut me suffire. Je veux voler au-dessus de lui, là où rien ne peut être connu.

En Dieu on ne connaît rien. Il est un unique Un. Ce qu’on connaît en lui, il faut l’être soi-même.

La rose ne connaît pas de pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, elle ne s’inquiète pas d’elle-même, elle ne se demande pas si on la voit.

Homme, si le Paradis n’existe pas d’abord en toi, crois-moi, tu n’y entreras jamais.

Agir est bien, mais prier est mieux et mieux encore, s’avancer muet et calme, vers Dieu, Notre-Seigneur.

Ni créature, ni créateur ne peuvent t’enlever la quiétude. Toi seul tu te troubles, Folie, par les soucis des choses.

Homme,, deviens essentiel ; quand le monde disparaîtra, l’accident tombera, l’essence restera.

Homme, donne à Dieu ton cœur, il te donne le sien. Y a-t-il plus noble troc ? Tu t’élèves, il descend...

Meurs ou vis en Dieu, les deux sont bons ; car Dieu doit mourir et doit vivre aussi.

Homme, si tu veux exprimer l’essence de l’Éternité, il te faut d’abord renoncer au langage.

Chrétien, il n’est pas suffisant que je vive en Dieu ; il faut aussi que je fasse monter en moi la sève de Dieu.

Je suis une montagne en Dieu et je dois m’escalader moi-même afin que Dieu me montre de loin son bien-aimé visage.

Si l’esprit de Dieu touche de son essence, en toi naît l’enfant de l’Éternité.

Comment peux-tu désirer cela, toi qui peux être le ciel, et la terre et mille anges ?



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