La Structure absolue

Abellio (SA:344-346) - émanation et formation

§ XXXI. Émanation et Formation
samedi 19 novembre 2022.
 

ABELLIO, Raymond. La structure absolue. Paris : Gallimard, 1965, p. 344-346

Chapitre IX - L’impulsion christique et le couple Lucifer-Satan

La manifestation de la déité s’effectue par « émanation », selon le mode de constitution du feu indivisible, ou par « formation » selon le mode de construction des trois autres éléments : eau, terre et air.

L’intensification de la déité dans le Fils par accroissement indéfini de la série des « doubles », c’est-à-dire par une addition et une multiplication croissantes de formes « vides », est symbolisée au mieux par la transmission du feu, qui se sépare de lui-même, se communique, s’ajoute et se multiplie sans « diviser » sa source et reste intrinsèquement et intégralement le feu. Ce processus est dit d’émanation : il caractérise le mode de vision en synchronie qui est celui de la conscience transcendentale et que la vision naturelle projette naïvement dans ce qu’elle appelle le « ciel » et l’ « enfer ». Par opposition, les trois autres éléments, air, eau, terre, qui correspondent aux trois états de la matière appelés gazeux, liquide et solide, ne peuvent s’étendre sans se raréfier ou se couper ; mais cette raréfaction (ou inversement cette concentration) cache en réalité le processus de la filiation elle-même, elle tend à l’apparition d’une « nouvelle » matière pour-nous. Ce second processus sera dit de formation ; il caractérise le mode de vision en diachronie qui est celui de la vie « sur la terre ». « Émanation » et « formation » sont évidemment associées. Le feu est actif par rapport à toute forme, car il détruit toute forme. Mais inversement il ne peut se transmettre sans un support formel, et toute forme qui est le support passif du feu en apparaît aussi comme une condensation active qui l’alimente, une matrice génétique. On peut dire aussi que le feu, qui agit par constitution ou par destitution [345] instantanées de formes, est en rapport avec l’intensité, tandis que les autres éléments, qui opèrent par construction ou destruction progressives de formes, sont en rapport avec l’ampleur. Aussi bien existe-t-il trois états visibles dans cette ampleur comme dans toute ampleur, tandis que le feu est seul, comme il se doit, dans le champ de l’intensité, qui est l’absolu de l’ampleur. Quand nous en viendrons à nos études d’anthropologie proprement dites, nous retrouverons dans la transfiguration du corps de l’homme à partir de ses trois stases d’ampleur : corps physique, corps psychique et corps mental, un cas particulier de ce schéma général. Si, en effet, par extension analogique, on peut aussi distinguer dans le corps humain trois niveaux supérieurs qui seront dits éthique, démiurgique et christique, ceux-ci n’en constituent pas moins ensemble une seule ek-stase de l’ensemble des corps d’en bas et ils s’intensifient ensemble de la même façon que le feu intensifie ensemble les trois états d’ampleur de la matière. Certains enseignements distinguent d’ailleurs au sein du feu, et comme nous le ferons pour le corps « glorieux », trois niveaux appelés éther de vie, éther de son et éther de chaleur. Ces trois « niveaux » sont mis respectivement en rapport, comme ceux du corps glorieux le sont avec ceux du corps ordinaire, avec les trois états solide, liquide et gazeux de la matière [1]. C’est par référence à ce rôle éminent et particulier du feu que les cosmologistes naïfs, c’est-à-dire ceux qui s’en tiennent à l’hypothèse d’une création et d’une apocalypse temporelles, décrivent la création du monde comme l’apparition du feu le plus vif : une fois de plus, ils transforment une limite sensible et purement subjective en origine absolue et objective. L’abbé Lemaître parle, par exemple, d’un « atome primitif ». Dans sa forme exotérique, l’enseignement hébraïque parle également de l’atome « primordial » comme d’un Point brillant à l’éclat insoutenable, qu’il symbolise dans la syllabe interrogative Mi qui signifie Qui ? En effet, aussi bien par l’homme que par Dieu, la création ne peut être vue que sous la forme d’une question : Qui (Mi) a créé Cela (Eleh) ? C’est Eleh (Cela) qui est le réceptacle de Mi, le feu « primordial », afin que le feu soit manifesté. Et le mot indéterminé Cela est en effet la seule réponse possible à l’interrogation des interrogations que se pose sans fin la déité : Qui suis-je ? Mais cette réponse ne peut être que l’inversion de la question, [2] [346] de même que le vide est la seule réponse possible à la question que se pose le plein. D’où la manifestation globale de Eleh-Im, qui se lit Élohim, le démiurge, qui renverse « Mi » en « Im ». Le réceptacle Eleh est dit le « manteau d’Élohim », il est la matière sensible qui sert d’écran protecteur contre le feu Mi. Cependant le Mi n’est nullement le Un sans clivage. Il y a une procession intérieure dans le Mi et elle est le modèle de toutes les processions. La Kabbale y insiste longuement : c’est la procession séphirothique.

[1] Voir notamment : Wachsmuth : Le Monde éthérique (éd. de la Science spirituelle, trad. Morizot, Paris, 1933). Cet ouvrage se rattache à l’enseignement de Rudolf Steiner, fondateur du Mouvement anthroposophique, qui tire de la succession dialectique des « éthers » des conséquences pratiques remarquables.

[2] Voir notamment : Wachsmuth : Le Monde éthérique (éd. de la Science spirituelle, trad. Morizot, Paris, 1933). Cet ouvrage se rattache à l’enseignement de Rudolf Steiner, fondateur du Mouvement anthroposophique, qui tire de la succession dialectique des « éthers » des conséquences pratiques remarquables.



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